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toute discussion tutélaire, la sympathie pour les principes soutenus par l’écrivain, je ne veux pas que cette sympathie, si ardente qu’elle soit, entrave l’exercice de l’intelligence. Aimer son pays est sans doute un devoir impérieux et je me défie volontiers de ces cœurs cosmopolites qui parlent sans cesse de l’humanité pour se dispenser d’aimer leur patrie ; mais on peut aimer la France d’un amour ardent et sincère sans se croire obligé d’admirer les Messeniennes comme le dernier mot de la poésie lyrique, et je crois pareillement qu’on n’offense pas l’Italie en refusant de placer Giusti parmi les grands poètes duXIVe siècle, entre l’amant de Laure et l’amant de Béatrice.

Tant que les œuvres de Giusti n’ont été multipliées que par des mains fidèles et dévouées, la discussion pouvait sembler difficile, imprudente même aux esprits les plus francs. Aujourd’hui que ses vers sont tombés dans le domaine public, chacun peut parler de lui en toute liberté, en Italie comme en France, sans s’exposer au reproche d’injustice. En signalant les défauts de ces œuvres ingénieuses, personne ne craint plus d’être accusé de vouloir rétablir la théocratie ou la monarchie absolue. Grace à Dieu, la presse, en mettant la pensée de chacun à la disposition de tout le monde, impose silence à toutes les déclamations ridicules. Si Giusti a dû à la propagation clandestine de ses vers une grande partie de sa popularité, c’est à cette propagation clandestine qu’il faut aussi rapporter le caractère prosaïque de plusieurs pièces de son recueil. Si, au lieu d’être lu en cachette, il eût été lu publiquement, si le blâme était venu assaisonner la louange, je ne doute pas qu’il n’eût essayé de donner à sa pensée une forme plus vive, plus précise, qu’il n’eût attribué plus d’importance à l’emploi des images, et compris enfin que l’idée la plus ingénieuse, la satire la plus vraie, la raillerie la plus mordante, n’ont qu’une durée passagère, lorsqu’elles, ne sont pas protégées par l’élégance, par la justesse, par la transparence de l’expression. L’obscurité que ses compatriotes mêmes n’hésitent pas à lui reprocher se serait dissipée, s’il eût été soumis plus tôt, à tous les hasards de la discussion. Quand le grand jour a lui pour ses vers, il était trop tard. En possession de la popularité, il ne pouvait guère prendre au sérieux les objections produites par les esprits désintéressés. Il avait trouvé depuis long-temps, pour sa pensée, un moule qu’il ne voulait plus changer. Il avait recueilli tous les bénéfices de la lecture clandestine ; il n’acceptait pas toutes les conséquences de la publicité. Malgré sa modestie, pouvait-il consentir à prendre pour de pures flatteries toutes les louanges qui lui avaient été prodiguées ? L’épreuve était délicate, et je comprends très bien qu’il n’en soit pas sorti victorieux.

Le recueil de Giusti se compose de soixante-trois pièces. À l’exception de six pièces publiées à Livourne avec le nom de l’auteur, le recueil