Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1071

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les généraux, sénateurs, députés et fonctionnaires supérieurs présens dans la capitale se rendirent, à l’exception des plus prudens, au palais pour connaître la cause de cet appel et recevoir des ordres. Ils passèrent à travers la garde du président, qui occupait à rangs serrés la cour intérieure. La générale battit de toutes parts. Bientôt un officier-général vint à la rencontre du consul de France, et rebroussa chemin de toute la vitesse de son cheval après avoir jeté au consul ces mots « C’est une scène toute de famille qui va se passer. Le président vous fait dire que, quelque chose qui arrive, vous n’avez pas à vous alarmer pour vos nationaux. » Cet officier-général était M. Delva, depuis ministre haïtien à Paris.

Quelques minutes s’étaient à peine écoulées, qu’on entendit du côté du palais des feux répétés de mousqueterie, auxquels répondit un immense cri d’angoisse et de désespoir dans toute la ville. Des chevaux de généraux venant de cette direction fuyaient épouvantés, et sans leurs cavaliers, à travers une population qui se précipitait, folle de terreur, vers les consulats et jusque dans les maisons des étrangers. La grille en fer qui renferme dans son vaste quadrilatère toute l’enceinte du palais et de ses dépendances était fermée. En dedans et près de l’entrée, le député Cérisier-Lauriston, chef de division des relations extérieures et secrétaire de l’avant-dernière mission haïtienne à Paris, gisait, la tête fracassée dans son sang. Dans la galerie ouverte qui fait face à la cour, des mourans et des morts étaient étendus pêle-mêle, et parmi ces derniers deux généraux, dont un noir. Un long chapelet de fuyards, que les balles égrenaient à chaque seconde, escaladait la grille du côté du jardin ; mais ils ne furent que faiblement poursuivis : le gros de la garde s’était précipité en tumulte dans l’intérieur même du palais, massacrant au passage les mulâtres errans dans les corridors, pendant que le général Céligny-Ardouin se traînait tout saignant jusqu’à la chambre à coucher du président, qui suivait, hideux de fureur, les pas chancelans du blessé en l’accablant de menaces de mort. La politique de stabilité s’était enfin levée pour Haïti Soulouque venait de trouver une solution.

Si je laisse pour aujourd’hui le lecteur les pieds dans le sang, c’est qu’aussi bien nous ne pourrions avancer sans marcher dans le sang encore, et ce qui va ressortir de cette longue tragédie est assez nouveau et assez décisif pour mériter un examen séparé. Nous allons voir en effet des garanties entièrement inespérées de civilisation se produire, cette fois, au sein même des saturnales de la barbarie nègre ; nous allons voir Soulouque entasser cadavres sur cadavres pour s’en faire un marche-pied impérial, puis s’apercevoir que l’enjambée est encore trop longue, et redescendre tranquillement à terre pour ramasser et ajouter à la pile des victimes les cadavres des bourreaux.


GUSTAVE D'ALAUX.