Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1060

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

destitution. M. David Troy, à son tour, ayant vainement exigé du président un désaveu formel de la conduite tenue par Similien pendant les deux derniers mois, donna sa démission, qui entraîna le renouvellement entier du cabinet.

La complicité du président dans la récente tentative de Similien parut dès ce moment évidente, et pourtant il n’en était rien. Les tergiversations de Soulouque entre Similien d’une part et MM. Élie et David Troy d’autre part avaient été, jusqu’au dernier jour, très sincères. C’était le général Souffrant lui-même qui venait de le pousser dans le parti ultra-noir. Des deux candidats à la présidence dont les noms avaient été remis en avant, M. Souffrant était le seul qui se trouvât, lors des derniers troubles, à Port-au-Prince. Dans les huit scrutins d’où était sortie l’élévation de Soulouque, M. Souffrant avait en outre maintenu sa candidature jusqu’au bout, et, sentant que ces deux circonstances le désignaient d’une façon toute particulière aux défiances de Soulouque, il avait, comme on dit, tiré son épingle du jeu en affectant auprès de celui-ci de prendre la défense de Similien. « Ce sont ces petits mulâtres, c’est ce Courtois, aurait-il dit, qui ont inventé toute cette affaire pour se créer une occasion de ressaisir le pouvoir. » M. Courtois, mulâtre et membre du sénat, était l’auteur de cet article de la Feuille du Commerce dont nous avons parlé. Le président avait cru aisément à ce témoignage en apparence si désintéressé d’un homme qu’une notable portion de la classe éclairée avait adopté, et qui ne pouvait pas être surtout soupçonné d’appartenir à l’école de Similien. De là la réaction qui s’était opérée en faveur de celui-ci dans l’esprit de Soulouque. Il y avait encore dans cet esprit flottant si peu d’aptitude à une résolution violente et préméditée, qu’en apprenant le fâcheux effet qu’avaient produit ses nouvelles tendances, le président fit immédiatement un pas en arrière. Le chef de police fut instamment prié par lui de reprendre son emploi, et n’y consentit qu’après lui avoir fait entendre sur le compte du favori des vérités fort dures, et qui ne furent pas cependant relevées. Une mission à l’étranger fut en même temps offerte à M. David Troy, qui se contenta de répondre : « Je n’ai donné à personne le droit de supposer que je pourrais jamais consentir à représenter à l’extérieur un gouvernement aussi avili. » Cette verte réplique émanant d’un noir fit une impression visible sur Soulouque. On put d’autant mieux croire à un retour de sa part vers les modérés, qu’une circulaire du 18 octobre vint enjoindre, en termes sévères, aux agens de l’autorité de maintenir l’interdiction qui pesait sur le vandoux et le don Pèdre[1] ; mais voilà que, le 6 novembre suivant, une

  1. La danse à don Pèdre, inventée en 1768 par un magicien noir du Petit-Goave, Espagnol d’origine, est le vaudovx à la cinquième puissance. Ses mouvemens sont plus saccadés et son effet sur les spectateurs plus contagieux. On en meurt quelquefois. Pour lui faire produire plus d’effet, les nègres mettent dans le tafia qu’ils boivent en dansant de la poudre à canon bien écrasée.