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à louer, beaucoup à blâmer. La statue équestre du général et lu bas-reliefs qui décorent le piédestal m’auraient suggéré plus d’une réflexion. Toutefois j’ai cru devoir m’abstenir. Le sujet des pensées que j’aurais eu à présenter était placé trop loin des regards de la foule pour lui permettre de vérifier la justesse ou l’inexactitude de mon jugement. Le Guttemberg placé à Strasbourg soulevait la même objection. La statue de Larrey, placée dans la cour du Val-de-Grace, défend à la critique de garder le silence. Chacun pourra, en effet, s’assurer par soi-même de la valeur de mes pensées. Guttemberg, le général Gobert, étudiés avec l’attention la plus scrupuleuse, analysés avec une précision mathématique, n’auraient peut-être pas porté la conviction dans l’esprit du lecteur ; l’analyse de la statue de Larrey me permet d’espérer que je serai pleinement compris, et, si je me trompe, mon erreur sera facilement démontrée, puisque le sujet de la discussion est devant les yeux du lecteur.

La tête de Larrey est certainement d’une ressemblance frappante. Cet homme vénérable qui a rendu à l’armée des services si éclatans et si nombreux, et dont le nom est associé à jamais à celui de Napoléon par quelques lignes de son testament gravées dans toutes les mémoires, proclamé par l’empereur le plus honnête homme qu’il eût jamais connu, avait gardé depuis la chute de l’empire la coiffure et le costume qu’il portait pendant les glorieuses campagnes où il s’était signalé par son héroïque bravoure ; comme s’il eût senti qu’il était une figure historique et que la postérité avait déjà commencé pour lui, il se conservait tel que nos soldats l’avaient vu sur le champ de bataille. S’égaie qui voudra au souvenir de ce respect pour le passé ; je ne veux pas y voir un enfantillage, mais la conscience du devoir accompli. Grace au soin que Larrey avait pris de demeurer, autant qu’il le pouvait, toujours comparable à lui-même, sa physionomie était connue de la foule. Que de fois ne l’ai-je pas rencontré, sur le pont des Arts, sortant de l’Institut, avec sa longue chevelure qui tombait sur ses épaules comme celle de Bernardin de Saint-Pierre ! Il y avait dans son visage un mélange d’énergie et de bonhomie qui frappait tous les yeux. Chacun aimait à retrouver dans les traits de ce vieillard l’homme de bien, l’homme de courage, dont, toute la vie avait été vouée au service de l’humanité, que nos soldats admiraient comme Ney, comme Murat, comme Lannes, qui allait sur la brèche, sous le feu de la mousqueterie et du canon, panser les blessés, qui n’a jamais reculé devant le danger, qui, au milieu des boulets et des balles, poursuivait intrépidement l’accomplissement de sa tâche. Eh bien ! ce mélange heureux d’énergie et de bonhomie, M. David l’a compris et rendu avec une rare précision. Tous les vieux compagnons d’armes de Larrey retrouvent dans l’œuvre de M. David l’homme brave et dévoué qu’ils ont connu au bivouac.