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Partout la marche de l’instrument est réglée sur celle qu’indiquent la nature des différens objets et les plans où ils se trouvent. Audran n’appelle particulièrement le regard sur aucun des moyens employés, il les fait également valoir l’un par l’autre et les entremêle tous sans ostentation de facilité comme sans confusion.

Tant d’ouvrages admirables valurent à Audran une réputation immense. L’académie de peinture, qui l’avait admis dans son sein dès la publication de ses premières planches, le nomma conseiller en 1681. L’école de gravure qu’il avait ouverte devint plus nombreuse qu’aucune autre, et plusieurs de ses élèves, se faisant remarquer même à côté de lui, ajoutèrent encore à la gloire du grand maître qui les avait formés[1]. Audran, parvenu à l’âge de soixante ans, quitta le burin et ne le reprit plus qu’à de rares intervalles pour graver quelques figures d’un intérêt purement scientifique. À l’exemple de Dürer, il se proposait de réunir dans une suite de traités les observations faites dans le cours de sa vie sur l’art qu’il avait si noblement pratiqué. Malheureusement, la mort interrompit ces travaux (1703), et, à l’exception d’un Recueil des proportions du corps humain, il ne nous est rien resté des enseignemens que voulait léguer à la postérité le plus grand des graveurs français et peut-être des graveurs de toutes les écoles.


II. – GRAVEURS DE SUJETS DE GENRE SOUS LOUIS XIV. – LIVRES A FIGURES. – ALMANACHS. – CARICATURES. – COMMERCE DES ESTAMPES FRANCAISES AU XVIIe SIECLE.

Nanteuil, Audran et les autres maîtres du règne de Louis XIV avaient par leurs ouvrages, popularisé en France la gravure d’histoire et de portrait. Le goût des estampes se répandant de plus en plus, quelques curieux commencèrent à former des collections. On s’en tint d’abord aux chefs-d’œuvre de l’art, puis on voulut posséder l’œuvre entier d’un graveur ; la manie des pièces rares devint un travers à la mode, et La Bruyère nous apprend qu’avant la fin du siècle certains amateurs en étaient venus déjà à rechercher, de préférence aux estampes les plus belles, les estampes qui n’avaient « presque pas été tirées, » et qui semblaient moins propres e à être gardées dans un cabinet qu’à tapisser, un jour de fête, le Petit-Pont ou la rue Neuve. » D’autres, préoccupés avant tout du volume de leur collection, amassaient confusément toute sorte de gravures bonnes ou mauvaises. Il y en avait qui faisaient cas exclusivement de celles dont la dimension ne dépassait

  1. Il convient de citer, parmi les élèves les plus distingués de Gérard Audran : — Gaspard Duchange, — Dorigny, qui fut appelé en Angleterre par la reine Anne, — Jean et Benoît Audran, — Louis Desplaces - et Nicolas Henri Tardieu, chef à son tour d’une famille de graveurs célèbres, dort le dernier, digne du nom qu’il portait, est mort il y a un peu plus d’une année.