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trace d’effort pittoresque, point de recherche excessive du moyen, point de ruse ni d’affectation d’aucune sorte ; toujours un faire simple, un style clair et limpide, une manière mesurée, si mesurée même qu’au premier coup d’œil elle a je ne sais quel air d’impuissance où ne se méprennent point les délicats, mais qui peut tromper les esprits pressés, ceux qu’il faut toucher tout d’abord. Les portraits de Nanteuil se présentent à l’état de calme extérieur dans lequel on est accoutumé à voir la nature, et il est possible qu’ils semblent un peu froids, presque dépourvus d’art, parce qu’ils n’étalent pas d’artifice. On y découvre cependant, en les examinant avec quelque attention, l’habileté véritable et la plus rare, celle qui se cache sous les dehors de la simplicité. Si le Turenne, le Président de Bellièvre (Pomponne), l’Avocat de Hollande, etc., sont des chefs-d’œuvre de dessin et d’expression, au point de vue de l’exécution matérielle ils attestent encore le goût exquis et la merveilleuse facilité du graveur ; mais il faut les étudier de près pour discerner la diversité des travaux et pour s’apercevoir que cette manœuvre est aussi savante que modeste. Le plus ordinairement. Nanteuil fait usage, dans les demi-teintes, de points espacés selon le degré d’intensité nécessaire ; quelquefois ce procédé lui suffit non-seulement pour modeler les parties plus voisines de l’ombre que de la lumière, mais pour accuser les ombres mêmes, comme dans le portrait de Christine de Suède, gravé entièrement de la sorte. Celui d’Édouard Molé, au contraire, n’est gravé qu’en tailles pures. Souvent le soyeux des cheveux est exprimé par des traits souples et continus, dont quelques-uns, se détachant de la masse principale pour se jouer sur le fond, rompent la monotonie du travail, et simulent le mouvement par l’indécision des contours. Souvent aussi des tailles déliées, interrompues, ou dirigées en sens contraire sans pour cela s’entre-croiser, caractérisent en perfection l’espèce de certains corps et imitent le moelleux des fourrures ou le lustre de la moire. Néanmoins il se peut faire que le même mode de pratique produise, sous la main du maître, les résultats les plus opposés : telle estampe offre dans le grain des chairs une méthode appliquée ailleurs, et avec un succès égal, à l’exécution ales draperies. En un mot, Nanteuil ne réserve pas l’emploi d’un moyen pour des occasions fixes et déterminées à l’avance ; tout en le subordonnant judicieusement à la convenance, il en tire à volonté les ressources dont il a besoin, et, quelle que soit la voie choisie, il semble toujours qu’il ait pris la plus sûre pour arriver précisément au but.

Les enseignemens de Nanteuil ne furent pas les seuls auxquels Edelinck crut devoir recourir : il améliora encore sa manière en étudiant celle de Nicolas Pitau, son compatriote, que Colbert avait aussi appelé de Flandre pour l’établir aux Gobelins, puis en acquérant auprès de Poilly le secret d’un faire brillant et harmonieux. Auquel de ces graveurs