Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1004

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des menées du radicalisme. En 1837, l’opinion républicaine menaça cette ville sous la forme visible d’un corps d’insurgés et de sympathiseurs qui essayèrent de la surprendre. Trois mille hommes de la milice, soutenus par deux compagnies de troupes régulières, se portèrent au-devant des rebelles, les attaquèrent vivement et les mirent en fuite après leur avoir tué quarante hommes.

En examinant avec un peu d’attention la configuration du pays, on reste convaincu que Toronto a sa raison d’être et ses élémens de prospérité dans sa situation à l’une des extrémités du grand plateau triangulaire compris entre les lacs Huron, Érié et Ontario. Ce plateau forme une presqu’île qui ne contient pas moins de vingt millions d’acres de ! erre d’une excellente qualité. Quel vaste champ ouvert à l’émigration ! Il y a là de quoi loger et nourrir l’Irlande tout entière. La partie nord-ouest de ce territoire est encore occupée par les Indiens ; à peine si dans sa partie méridionale il a reçu des Européens en assez grand nombre pour que sa physionomie agreste et sauvage ait été sensiblement altérée. Au milieu d’une clairière de peu d’étendue, bornée de tous côtés par la forêt, s’élève la capitale naissante de cette province reculée ; on l’a baptisée du nom de Londres (Canadian-London). Plus on est loin de sa patrie, plus le souvenir en est doux. La rivière qui l’arrose est appelé Tamise (Thames), et les petits ponts de bois qui traversent ce cours d’eau ont été nommés Black-Friars, Westminster, etc. London ne compte pas plus de quatre à cinq mille habitans ; on l’a surnommée the city of the stumps, parce que, du milieu des défrichemens dont elle est entourée, s’élèvent les restes des arbres (stumps)[1] abattus par la hache ou détruits par le feu. Il n’y a pas fort long-temps encore qu’on vit deux vieux ours, qui ne soupçonnaient pas l’existence de cette capitale toute récente, en parcourir les rues à la clarté des étoiles, comme deux promeneurs fourvoyés. Quoi qu’il en soit de l’aspect étrange de Canadian-London, l’avenir de cette ville est assuré. Destinée à devenir le centre d’une colonie agricole, elle a été bâtie aux sources et non à l’embouchure d’une rivière, à une certaine distance des lacs, dans l’intérieur des terres. Cette situation, qui paraît au premier abord mal choisie, a cela d’avantageux au contraire, qu’elle force les habitans à pratiquer des routes pour se mettre en communication avec les petits ports voisins établis sur l’Érié ; ces routes ont guidé les émigrans à travers la forêt et leur ont permis de choisir les lieux les plus favorables à la culture. La Tamise, qui coule directement vers le sud, tombe dans le petit lac Saint-Clair[2], en baignant des terrains bas et fertiles où le froment et le tabac prospèrent, à

  1. Les créoles désignent ces stumps par le mot chicot.
  2. Le lac Saint-Clair reçoit les eaux du lac Huron, et les porte au lac Érié par la rivière Détroit.