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les traditions révolutionnaires et protesté sans cesse de leur respect pour les lois de leur pays, ces hommes de la ligue qui n’ont point attaqué « l’appropriation du sol, l’institution du fief, qui, ne l’ont pas même effleurée dans leurs plus farouches harangues, qui ont respecté, comme la grande assise sociale, cette institution du vol permanent. » Remarquons en passant quels progrès M. Ledru-Rollin a faits dans la doctrine proudhonnienne. M. Proudhon avait dit : La propriété, c’est le vol ; M. Ledru-Rollin ajoute : C’est le vol permanent. Il ajoute encore que, si les hommes politiques n’ont pas voulu conclure jusqu’au radicalisme, le peuple anglais se chargera de conclure après la plus épouvantable des catastrophes ; mais laissons là les erreurs et les menaces du socialisme, qui ne sait pas mieux le présent qu’il ne voit l’avenir. Il est temps de vérifier l’étendue de ce paupérisme qui rongerait toute l’Angleterre, qui devrait même amener sa ruine prochaine, et de constater la marche qu’il peut suivre à Londres, dans les districts manufacturiers comme dans les districts agricoles.


II

Les lettres publiées par le Chronicle sur la population laborieuse de Londres, que M. Ledru-Rollin a si constamment mises à contribution dans son livre, et dont plusieurs journaux socialistes se sont emparés après lui, sont écrites dans un style plein de chaleur et de mouvement, avec cet art de mise en scène, cette habileté dramatique qui manque presque toujours aux écrivains anglais, et qui est l’unique qualité de A Eugène Sue. Il y a là un souvenir évident et comme un reflet des Mystères de Paris. Ces lettres ont pour auteur M. Mayhew, un homme de talent et de beaucoup d’imagination, qui est complètement socialiste. M. Mayhew appartient à l’école de M. Louis Blanc ; il est l’adversaire de la concurrence, et il veut la détruire par l’association des ouvriers et la solidarité de tous les ateliers. Il a entrepris de fonder à Londres des associations fraternelles de tailleurs et de cordonniers sur le modèle de la fameuse association des tailleurs de Clichy et sur le modèle des cuisiniers-réunis.

Sans mettre en douté la véracité de M. Mayhew, on peut croire que l’ardeur de ses convictions et la vivacité de son imagination ôtent quelque chose à l’autorité de sa parole. C’est un témoin sincère, mais passionné. Quant à son copiste ; il ne se borne pas à prendre au pied de la lettre tous les récits que M. Mayhew a recueillis de la bouche des gens qu’il a interrogés ; il les généralise. Si un ouvrier en chômage, si un mendiant se sont écriés que « cela ne peut pas aller plus longtemps ainsi, » M. Ledru-Rollin en conclut gravement que l’impôt ne peut plus monter et que le salaire ne peut plus descendre en Angleterre