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les plus sincèrement démocratiques, lequel se fait de sa condition l’idée la plus juste et la plus élevée, du Français qui n’envisage dans le commerce qu’un moyen de faire fortune qu’il faut renier aussitôt après, ou de l’Anglais qui y voit pour lui et les siens une carrière égale à toute autre ? Il est juste de dire que, dans ce pays opprimé, selon nos socialistes, par une aristocratie féodale issue de la conquête, ni l’influence politique, ni les distinctions, ni les dignités n’ont jamais manqué au négociant qui pouvait mettre au service de son pays une expérience précieuse et des connaissances commerciales ou financières acquises, non pas dans les livres, mais dans la pratique des grandes affaires. Un socialiste un peu avisé, au lieu de compasser péniblement des périodes contre la tyrannie de la boutique et du comptoir, aurait signalé le manufacturier Peel, l’artisan James Watt et tant d’autres devenus baronnets, le banquier Baring devenu lord Ashburton et M. Labouchère quittant une des principales maison de la Cité pour s’asseoir, à côté de lord John Russell, sur les bancs du ministère. Il y a quelques semaines, n’a-t-on pas encore élevé à la pairie, sous le titre de baron Overstone, un simple négociant, M. Lloyd Jones, pour récompenser une grande fortune honorablement acquise et honorablement employée, d’incontestables lumières, de longs services rendus au commerce anglais, un appui efficace prêté à toutes les entreprises utiles, et un concours actif donné aux enquêtes dirigées par le gouvernement sur les questions importantes de commerce, de douane et de finance ? Où nous avons la faiblesse de ne voir qu’une équitable et intelligente répartition des récompenses nationales, M. Ledru-Rollin avait une merveilleuse occasion de montrer la bourgeoisie anglaise se féodalisant avec empressement : quelle faute que d’avoir négligé un tel argument et de s’être mis à maudire la puissance de l’association dans un livre contre l’individualisme, un livre qui prêche à chaque page la solidarité, c’est-à-dire, suivant M. Proudhon, l’association arrivée au communisme !

Est-il possible de ne se pas montrer incrédule quand on vous déclare gravement que la lecture des journaux est inaccessible aux classes populaires, attendu que le prix d’un journal équivaut presque à une journée de travail ? Il semble qu’il n’existe en Angleterre que des feuilles à six et à dix sous ; et que cinq cent quarante-sept journaux puissent paraître sans trouver de lecteurs en dehors de l’aristocratie ; mais sans parler des magazines à deux sous, dont un seul se vend à plus de trois millions d’exemplaires par an, sans parler des journaux politiques hebdomadaires et mensuels, qui sont infiniment plus nombreux et à aussi bon marché qu’en France, peut-on ignorer l’existence de la presse subreptice, qui fraude le timbre ? Lorsque la législation sur le timbre obligeait les grands journaux à se faire payer sept pence le numéro,