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long-temps établies et connues en Amérique et jouissant héréditairement d’une grande fortune. Jackson et Taylor, à leur renommée militaire, joignaient la possession de grandes propriétés. Le nouveau président est le premier qu’on pourrait appeler un parvenu : il est, dans toute la force de l’expression, le fils de ses œuvres, et il est à peine dans l’aisance.

M. Millard Fillmore est né le 7 janvier 1800 à Summer-Hill, dans le comté de Cayuga, état de New-York. Il a par conséquent cinquante ans. Son père, Nathaniel Fillmore, venait d’acquérir quelques acres de terre qu’il cultivait lui-même. Il les a vendues, il n’y a pas bien long-temps, pour acquérir, dans le comté d’Érié, une petite ferme qu’il exploite, et toutes les semaines on peut voir au marché le père du président des États-Unis. Millard, au sortir de l’école primaire, fut mis en apprentissage chez un tailleur. Il employait à lire et à s’instruire les loisirs de sa profession. Il avait dix-neuf ans quand un jurisconsulte distingué, le juge Wood, vint tenir les assises dans le comité de Cayuga Il avait besoin de quelqu’un pour faire des écritures, et Millard se présenta. M. Wood fut charmé de l’air vif et intelligent du jeune tailleur et de l’esprit naturel, qui éclatait dans ses réponses, et au moment de quitter Summer-Hill il offrit à Millard de le prendre pour secrétaire et de le diriger dans l’étude du droit. Millard accepta et demeura deux ans dans la maison du juge. En 1821, il quitta son bienfaiteur pour se rendre à Buffalo et y complétée son instruction légale : il donnait alors des leçons pour vivre. En 1823, ayant pris ses premiers grades, il put commencer à plaider devant les tribunaux inférieurs, et en 1827 il fut reçu avocat à la cour suprême de New-York. Il avait déjà donné de telles preuves de sa capacité, qu’aux élections suivantes, en 1829, le comté d’Érié le nomma son représentant à la législature de New-York, quoiqu’il n’eut encore que vingt-neuf ans. En 1832, il fut envoyé à la chambre des représentans, et ses collègues ne tardèrent pas à le placer à la tête de la commission du budget, dont le président exerce aux États-Unis une partie des attributions que nous réservons au ministre des finances. Cette épreuve lui fut très favorable, et l’opinion publique le mit aussitôt au nombre des hommes les plus capables et les plus distingués de l’Union. En 1844, le parti whig, dans l’état de New-York, le prit pour son candidat au poste de gouverneur. Millard échoua ; mais, lorsqu’en 1847 le parti whig prit le général Taylor, homme du sud, pour candidat à la présidence, et qu’il parut nécessaire de réserver la vice-présidence à un homme du nord, tous les suffrages se portèrent sur Millard Fillmore. La mort du général Taylor devait mettre le comble à sa fortune politique en l’appelant inopinément à la présidence.

M. Fillmore est depuis long-temps mêlé aux luttes des partis. Il était l’un des chefs reconnus du parti whig. Les démocrates ne sont donc point obligés envers lui aux mêmes ménagemens qu’envers le glorieux vétéran des guerres du Mexique. En outre, M. Fillmore, homme du nord, n’a point avec les propriétaires d’esclaves la même communauté d’intérêts que son prédécesseur. Son arrivée au pouvoir doit donc éveiller les défiances des états du sud, toujours prompts à s’inquiéter. Reconnaissons toutefois que les débuts du nouveau président ont été heureux. Le général Taylor était tombé entre les mains d’une coterie exclusive, et il avait livré la composition de son ministère à M. Clayton, ancien sénateur du Delaware, orateur distingué et instruit, mais esprit chimérique