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pas à leur demander s’ils sont français, russes, voire anglais ; il nous suffira de reconnaître qu’ils sont de bons Grecs, ne servant que leur pays.

La mort du général Taylor, président des États-Unis, est venue prouver une fois de plus la stabilité des institutions américaines. Arrivé à la première magistrature par l’éclat des services, par le prestige de la gloire militaire, par l’enthousiasme qu’excitait un caractère digne de l’antiquité, le général Taylor jouissait d’une popularité qui n’avait point diminué, et était investi d’une autorité morale incontestable. L’opinion publique, persévérante dans son admiration, ne le rendait point responsable des fautes de son ministère. Il ne s’était compromis dans aucune lutte de parti, et ne soulevait aucune animosité personnelle. Né en Virginie, propriétaire en Louisiane et possesseur d’esclaves, sa présence au pouvoir était une garantie pour les états à esclaves ; en même temps, la confiance universelle en sa probité politique, la fermeté de son caractère, la vigueur de ses décisions, rassuraient les états du nord contre toute entreprise inconstitutionnelle, contre toute tentative pour porter atteinte à l’Union. Aussi, malgré la violence et l’obstination des luttes de partis, malgré les menaces insensées proférées de part ou d’autre, la masse de la population ne concevait point d’appréhension sérieuse, certaine qu’au jour de l’action toutes les résistances, toutes les rébellions tomberaient devant un acte de vigueur du vieux Rough and Ready (rude et délibéré).

La perte d’un tel homme était d’autant plus regrettable, que les longues et inutiles discussions des deux chambres n’avaient fait qu’exciter l’animosité des partis. L’obstination avec laquelle depuis six mois on entravait dans sa marche la mesure conciliatrice présentée par M. Clay montrait assez que les partisans, et les adversaires de l’esclavage étaient également éloignés de toute concession. N’était-il pas à craindre que les mêmes hommes qui avaient déjà fait entendre la menace d’une dissolution de l’Union ne s’enhardissent à la répéter, maintenant qu’ils n’avaient plus à redouter l’énergique réprobation dont le héros de Buena-Vista avait frappé cette tentative anti-nationale ? Si, au milieu de ces circonstances difficiles, le pouvoir n’avait pu se transmettre paisiblement, si la première magistrature avait dû être conquise dans l’arène électorale et fût demeurée quelques jours seulement offerte en proie aux ambitions individuelles et à l’avidité des partis, la mort du général Taylor n’eût pas été seulement un malheur pour les États-Unis, elle eût été le signal de grands dangers.

Grace à la sagesse qui a réglé l’organisation politique des États-Unis, grace au patriotisme et au bon sens qui ont gravé dans tous les cœurs le respect de la constitution, aucune rivalité, aucun trouble, n’étaient possibles. Le général Taylor avait à peine expiré, que le vice-président prenait légalement sa place, et prêtait serment en présence du sénat. Il n’y a eu, dans l’exercice du pouvoir, ni interruption ni affaiblissement ; pas une voix n’a contesté au vice-président la plénitude des prérogatives possédées par son illustre prédécesseur. Une autre circonstance rend plus remarquable encore cette transmission paisible du pour voir au milieu de graves difficultés : c’est l’origine de l’homme à qui la première magistrature est si soudainement échue. Jusqu’ici, en effet, les hommes appelés à la présidence ont tous appartenu à des familles anciennes. Washington et Adams pouvaient suivre jusqu’en Angleterre la filiation de leurs ancêtres. Jefferson, Madison, Monroé, Van-Buren, appartenaient à des familles depuis