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que M. de Larochejaquelein veut ramener la légitimité ; à ce compte, la légitimité restera en chemin, écrasée sous le char où on l’aura fait monter imprudemment.

La république, telle que la comporte le suffrage universel illimité, et la légitimité sans transaction et sans modération, deux impossibilités également désastreuses ! Et il est curieux de voir comment, en face de deux causes qu’il est prêt à embrasser indifféremment, la république ou la légitimité, M. de Larochejaquelein prend de ces deux causes ce qu’elles ont de mauvais et d’inapplicable, au lieu de prendre ce qu’elles peuvent avoir de bon et de juste. Il prend la république du suffrage universel illimité, et la légitimité qui ne veut pas pardonner à dix-huit années d’un bonheur inespéré !

Hâtons-nous de dire que personne n’impute au parti légitimiste tout entier ce que dit M. de Larochejaquelein. Non, le parti légitimiste n’a pas ces rancunes envieillies et ces préjugés surannés ; il n’a pas à fois les passions de 1815 et celles de 1848.

Les passions de 1848 ne sont pas assoupis, tant s’en faut ; le voyage du président ne l’a que trop prouvé. Ce voyage était une expérience grande et hardie. Au lieu d’aller visiter les pays où il pouvait trouver des hommages, le président a voulu visiter les départemens où il pouvait rencontrer des difficultés. Il en a rencontré, mais il n’en a pas laissé derrière lui, et nous ne doutons pas que la tâche de l’administration ne soit plus facile aujourd’hui partout où il a passé. C’est là le service qu’a rendu ce voyage. Ce n’a pas été une course de cérémonies et de fêtes ; ç’a été une action de gouvernement.

Nous ne voulons pas suivre pas à pas le prince dans les villes qu’il a traversées avec des acclamations diverses ; nous aimons mieux prendre dans ses discours les paroles qui répondent le mieux aux circonstances où nous sommes et à la situation qu’il a dans le pays. Nous aimons mieux rechercher si le président est resté en-deçà de ces circonstances, en-deçà de sa situation, ou s’il a été au-delà, s’il a trop peu dit enfin, ou s’il a trop dit.

Et d’abord nous n’apprenons rien à personne en disant que les circonstances où nous sommes sont les plus singulières du monde. Le pays est calme ; mais il est condamné à mourir lui-même dans dix-huit mois, ou à tuer sa constitution. Les uns parient que c’est la constitution qui mourra, d’autres que c’est le pays. Je serais tenté de croire que c’est le pays, me souvenant un ancien académicien, M. Suard, qui disait qu’on ne mourait jamais que par bêtise. Il y a des jours où, quand le pays est heureux, il déchire, en se jouant, les constitutions, et d’autres jours où, quand il est malheureux et inquiet, il ne sait pas à quoi se décider et où il attend son sort, fût-ce la mort, avec l’impassibilité d’un mahométan. Nous savons gré au président d’avoir dit franchement à Strasbourg ce qu’il pensait de la constitution. — Oui, la constitution a été faite contre le président - et, disons-le aussi, contre la pensée de la France. Il y a eu un moment où les républicains de 1848, croyant qu’ils élevaient la présidence pour un des leurs, ne trouvaient aucune attribution trop forte et trop considérable pour le président ; mais, aussitôt qu’ils ont compris que ce n’était pas pour eux-mêmes qu’ils travaillaient, ils ont cherché à restreindre le pouvoir du président. Ils l’ont fait d’autant plus volontiers, qu’à mesure que la lumière se faisait, quoiqu’à regret, dans leurs conseils,