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sentiment que nous inspirait encore l’autre jour ce sauvage pacifique qui, dans le congrès de Francfort, offrait son calumet à M. de Cormenin, — cette affection mélancolique, nous l’éprouvons en conscience à l’endroit des Bas-Bretons de M. de Larochejaquelein ! Honnêtes enfans de la noble Armorique, a-t-il donc fallu que vous posiez ainsi pour le plaisir des beaux messieurs en habit noir et en bottes vernies qui regardaient, le lorgnon dans l’œil, votre costume classique tout battant neuf, vos larges chapeaux et vos longs cheveux, vos habits carrés et vos liserés de couleur ! Ces décorateurs du petit théâtre de Wiesbaden sont des gens sans miséricorde. Ils se sont procuré de tout à tout prix : d’honorables membres de la commission des vingt-cinq qui veillent sur la paix publique en allumant le feu dans leur coin, des grands seigneurs, même de bon aloi, des bourgeois de campagne qui prennent le nom de leur village, et des gentilshommes de Paris qui sentent trop la pommade. Il n’y a que sur le vrai public qu’ils n’aient point mis la main, car il paraît, en somme, que Wiesbaden n’est point, à beaucoup près, aussi plein qu’on s’en vante.

Nous croyons être sûrs que la personne qui souffre le plus du ridicule équipage dont on essaie de l’affubler n’est ni plus ni moins que M. le comte de Chambord lui-même. On le dit très incommodé du zèle de ses amis, très fatigué de son apothéose, un dieu malgré lui. On assure qu’il n’est point pressé de recueillir le fardeau sous lequel ont plié les solides épaules du roi de juillet. Et puis nous aimons à penser qu’un Bourbon se connaît en grandeur, et M. le comte de Chambord sent nécessairement qu’il n’y a qu’une grandeur artificielle, qu’une parade assez mesquine dans les démonstrations auxquelles il se prête, ou pour l’acquit d’une conscience trop scrupuleuse, ou par une de ces complaisances qu’il faut quelquefois montrer envers la queue de son parti, quand elle menace de se débander. Qu’il prenne garde pourtant de laisser la queue devenir la tête ! Nous voulons croire que M. Berryer n’est en ce moment auprès de lui que pour lui bien expliquer ce qu’il en coûterait d’une pareille inversion. Oui, la vraie grandeur, M. le comte de Chambord ne l’ignore pas, elle n’était point à Wiesbaden durant ces derniers jours, elle était à Claremont. Ce vieillard mourant avec une simplicité que rehaussait toute la majesté du malheur, mourant sans faiblesse, sans amertume, sans vain orgueil, intelligent et bon jusqu’à son dernier soupir ; cette reine admirable, aussi forte dans l’adversité qu’elle avait été modeste dans sa plus haute fortune, toujours dévouée, toujours tendre, toujours sainte, c’étaient là les figures qui s’offraient, sans y penser, en un instant si solennel, non pas aux complimens affectés d’une foule frivole, mais aux pieux hommages du sévère avenir.

Un mot encore. Dans cette foule des courtisans de Wiesbaden, nous avons entrevu, non pas avec beaucoup d’étonnement, mais avec une peine que nous ne saurions dissimuler, un ministre du roi Louis-Philippe, qui s’égarait là vers l’heure où son ancien maître expirait. Nous nous sommes affligés de ce contraste, parce que nous regrettons toujours de voir les hommes qui ont eu un rôle dans notre malheureux pays se diminuer eux-mêmes ; mais l’aventure ne nous a pas surpris, parce qu’elle est au fond selon l’humeur du personnage. Quand on a toujours eu le goût du grandiose dans le genre faux, on va le chercher où on le trouve. C’est une justice à rendre à ce visiteur inattendu que le roi Louis-Philippe n’était pas son homme : la familiarité bienveillante du souverain