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amertume au fond de cette retraite où il avait gardé toute la possession de prendre en pitié ces honnêtes gens qui, après avoir été des citoyens si ombrageux sous un monarque constitutionnel, se promettent maintenant d’être des sujets si résignés, fût-ce sous l’autocratie. Ce n’est pas que son règne et peut-être sa politique n’eussent été à la longue envahis ou tout au moins entamés par ce faux jargon d’absolutisme rétrograde, par ces niais et pompeux panégyristes des autorités mortes. Pour ceux-là cependant, le roi Louis-Philippe n’avait personnellement aucun goût ; il pouvait s’en servir, son cœur était ailleurs. Nul n’a plus souffert que lui de l’usage et même des licences du système parlementaire ; il l’aimait pourtant, il y avait foi, et, bien loin d’avoir songé jamais à l’amoindrir ou à l’effacer, il se sentait faible vis-à-vis des séductions de la tribune. Avec sa parole facile, avec la rapidité de son jugement il eût volontiers essayé de convaincre à lui seul ceux que ses ministres n’avaient pas convaincus, et, quand il était battu devant les chambres, il aurait eu plutôt l’envie de plaider lui-même en appel que l’idée de les casser. Comme aussi telle était la sincérité de son respect pour la loi établie, que, dans le plus vif de son infortune, son plus sérieux réconfort était de penser qu’il succombait injustement, puisqu’il n’avait point attenté à la loi. Il en est d’aucuns à cette heure qui, pour cela, ne l’excuseront guère, et diront que c’est pour cela même qu’il a succombé. Soit : la chute équivaudrait alors au martyre.

Parlons plus humblement. Non, cette chute n’a pas été un martyre, et si regrettable qu’elle ait pu être, si dignement qu’elle ait été subie, le ferme bon sens du roi Louis-Philippe se serait refusé à l’entourer de cette auréole. Ce n’est pas de n’avoir point violé la loi que le roi Louis-Philippe a porté la peine : c’est d’avoir été, pour ainsi parler, l’expression trop vivante de son temps et de son pays. Le pays s’est en quelque sorte vengé sur son image de ses propres torts ; il l’a brisée pour la punir de les lui représenter si fidèlement. C’était là le crédit et la force du roi défunt, ç’a été sa perte. Le pays avait fini par s’acclimater dans un certain terre à terre où l’intensité de la vie morale diminuait à mesure qu’augmentaient les satisfactions de la vie matérielle. Il allait au jour le jour sur la pente de ses prospérités, jouissant à l’aise et réfléchissant peu. Il était heureux de tous ces bonheurs faciles qui seraient sans doute les meilleurs chez les peuples comme chez les individus, s’ils ne détendaient les grands ressorts des ames. Il eût fallut quelque direction énergique pour marquer des fins plus lointaines, souvent même plus nobles à l’activité qui se dépensait dans des poursuites trop médiocres. Il eût fallu peut-être plus d’idéal pour entretenir le feu des esprits et des cœurs, pour empêcher le sens de se rétrécir, pour l’élever au-dessus des minces calculs de l’égoïsme. La sagesse vulgaire s’endormait cependant sur les apparences et comptait sans l’inévitable lendemain. La haute sagesse du roi ne fut point elle-même à l’abri de cette molle fascination du succès ; elle prit la sécurité pour la stabilité ; elle crut trop que cette paix universelle de son temps était le repos de la force, quand ce n’était guère que l’assoupissement qui suit la satiété. Toutefois il y avait encore une arène ouverte à l’héroïsme, un champ-clos où pouvaient se former des hommes, où l’on pouvait apprendre ces deux belles vertus du commandement et de l’obéissance qui sont la pierre angulaire des états, nous voulons parler de notre guerre d’Afrique.