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1830 : période étrange, à tout prendre, autant que la nôtre, où déjà se faisaient jour avec un e singulière âpreté et dans un pêle-mêle confus toutes les passions, toutes les folies qui se sont jetées sur nous en conquérantes, et attendent encore l’heure d’une nouvelle invasion. Dans l’Epoque sans nom se retrouve la même nature ; c’est un observateur délié, ingénieux, ironique sans une amertume trop vive, et qui semble ne guère s’étonner de tout ce qu’il voit, — émeute, destructions d’églises, prédications de tout genre, égarement des uns, aveuglément béat des autres ! Cela lui parait un spectacle curieux et digne d’être vu, comme l’est éternellement celui de la folie humaine. Il y a, parmi les esquisses de M. Bazin, un portrait qui n’a point vieilli du tout vraiment, celui d’une espèce particulière de notre société, du bourgeois de Paris, qui tient à l’ordre de la rue et veut la place publique nette de soldats de l’émeute, mais ne reconnaît point le désordre en chapeau noir, pérorant, déclamant dans les tribunes ou dans les journaux, digne et honnête classe qui ne voit les révolutions que lorsqu’elles sont consommées, et qui les laisse passer aux cris de vive la réforme ! comme passera peut-être le socialisme aux cris de vive la république ! Plus d’une page de M. Bazin, écrite autrefois, prend ainsi aujourd’hui, à son insu, un intérêt d’actualité, et fait regretter plus encore ce talent qui avait su se conserver pur de bien des affectations et des corruptions contemporaines.

Le livre de M. Bazin nous ramenait, par le triste hasard de la mort de l’auteur, vers une époque toute chaude encore de récentes éruptions révolutionnaires, mais tendant progressivement déjà à s’apaiser, — 1833. Ces éruptions pourtant se sont rouvertes à l’improviste sous nos pas, et ont pris un caractère bien autrement menaçant. Nos émotions s’attachent à quelque chose de moins rétrospectif, de plus actuel que les luttes d’autrefois ; il n’est point surprenant que d’autres esprits viennent, à leur tour, observer aujourd’hui les nouveaux symptômes ; — et tourmentent en quelque sorte la situation ou nous sommes comme pour en faire jaillir un mot de salut. Ces esprits abondent parmi nous ; s’il y a même un danger, c’est la multitude de gens qui se font bénévolement les scrutateurs de nos misères présentes, qui peignent notre pauvre société sous toutes les couleurs, et ouvrent devant elle toute sorte de perspectives. Là n’est point, j’imagine, le meilleur symptôme. C’est une singulière preuve de l’impuissance et de l’incertitude publiques, rendues plus visibles par les efforts de tout genre pour y remédier et la divulgation de mille recettes héroïques. Ce n’est point M. Bazin, je pense, qui eût écrit l’Ère des Césars. M. Romieu est plus hardi ; il n’a pas craint, en recueillant ses impressions sur l’état présent de la civilisation, en s’appuyant sur des analogies historiques, de chercher, lui aussi, à pressentir l’avenir de notre pays, avenir assez étrange véritablement ! Aux yeux de l’auteur, cette société énervée et gangrenée n’a plus rien en elle qui soit debout. La discussion a été l’instrument de dissolution universelle ; elle a dissous la foi, elle a dissous les idées, elle a dissous le sentiment de l’autorité et de l’obéissance, tout ce qui, en un mot, est un élément de fondation sociale et de durée. Que reste-t-il ? Une seule chose : la force, — la force représentée par les armées, lesquelles sont appelées à élever et à soutenir les pouvoirs qui se succéderont temporairement à la tête de la société en personnifiant leur influence. C’est la reproduction de la dictature militaire romaine