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s’étendait un grenier auquel on arrivait par une échelle et sans autre plancher que des fagots jetés en travers des poutrelles. Ce fut là que je passai la nuit sur une coëtte de balle d’avoine. Quelque fée bretonne y avait sans doute caché l’herbe qui endort, car, lorsque je me réveillai, le soleil filtrait à travers le chaume et dessinait autour de moi mille réseaux lumineux. Les roitelets cachés dans toutes les crevasses du toit gazouillaient joyeusement, et les pinsons leur répondaient sur les trônes du courtil. Quant à la maison ; aucun bruit ne s’y faisait entendre. Je me levai à la hâte, et je descendis. Il n’y avait personne au rez-de-chaussée. Tous les meubles étaient en ordre, et le sol balayé, les cendres du foyer relevées, annonçaient que les maîtres du logis étaient sortis pour long-temps. En regardant par la petite croisée, à un seul carreau qui donnait sur la grève, je vis en effet que la barque n’était plus là.

Je connaissais trop bien les libertés de l’hospitalité bretonne pour que cette absence me causât ni surprise, ni embarras. J’allai à la table et je relevai une manne d’osier renversée, sous laquelle se trouvait le pain noir enveloppé dans une petite nappe à frange. Faisant ensuite glisser la table elle-même, j’aperçus dans l’espèce de coffre qu’elle recouvrait le beurre et le lait mis en réserve. Je choisis ce que je préférais, et je me mis à déjeuner avec la confiance que, donne ce titre d’envoyé de Dieu accordé par le paysan de l’Armor à celui qui vient s’asseoir à son foyer. Quand j’eus achevé, je remis tout en place, laissant pour mon hôte absent une pièce de monnaie que, présent, il eût peut-être refusée. Je refermai, en sortant, la porte de la cabane avec ce loquet de bois dont la vue m’a toujours rappelé la chevillette et la bobinette du petit chaperon rouge, puis, reprenant ma route par les landes, je me dirigeai vers Crozon.

Le soleil, déjà élevé sur l’horizon, commençait à frapper directement le promontoire, rendu plus aride par une longue sécheresse. Je suivais un pli de la colline où n’arrivait aucun souffle de la brise de mer. Le sol, ouvert par la chaleur, était entrecoupé de larges fissures au bord desquelles les bruyères et les ajoncs penchaient leurs touffes jaunies. On n’apercevait à droite ni à gauche aucun village, aucune ferme ; à peine si quelques champs cultivés annonçaient de loin en loin la présence de l’homme. J’avais ralenti le pas, fatigué du poids du jour, de la longueur de la route et de la morne solitude qui m’entourait, quand un compagnon inattendu se montra à l’extrémité d’un sentier : c’était le meunier Guiller. Il me reconnut, poussa un cri d’appel, et pressa, pour me rejoindre, le pas de sa monture.

— Monsieur vient de la Pointe du Corbeau ? dit-il en portant la main à son bonnet bleuâtre ; que Dieu fasse miséricorde aux pécheur ! le vieux Judok-Naufrage a donné un terrible exemple ; mais le diable