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tous les secrets de la cabane. D’autant plus que c’était la sienne, répliquai-je. Le gabarier releva la tête. — Monsieur soupçonne aussi le garçon sans baptême ? dit-il d’un ton qui prouvait que la même idée lui était venue.

Je lui expliquai rapidement les indices qui m’avaient frappé. Salaün écouta d’un air pensif et garda quelque temps le silence.

— Oui, dit-il enfin comme s’il se fût parlé, c’est ainsi que les choses devaient finir ; le bon Dieu y a mis la main.

— En faisant tuer un père par son fils ! m’écriai-je.

— Beuzec-le-Noir n’est point du sang de Judok, répliqua le gabarier, et c’est le père du mal qui l’a mis dans sa maison. J’ai vu la chose de mes yeux. Le cordier et moi, nous demeurions alors vers la Pointe du Ratz, un rude endroit où les matelots ont besoin de l’intervention de la Vierge. On dirait que les brisans y attirent les navires. Aussi, pendant six années que j’y ai demeuré, je ne me suis jamais chauffé qu’avec du bois qui avait flotté sous voile.

— Et votre voisin travaillait sans doute, à ce que vous ne pussiez point en manquer ?

— Monsieur comprend qu’il se trouvait là comme un faucheur dans le pré. Celui qu’on ne nomme pas lui fournissait chaque jour de nouveaux piéges contre les bâtimens en danger ; mais tôt ou tard il devait se faire payer son salaire, et pour cela il allait envoyer à Judok un des siens.

— Que voulez-vous dire ?

— Ce qui est arrivé, monsieur. C’était un soir de printemps ; le suroit fouettait la mer à en emporter des morceaux, quand un gros trois-mâts en détresse parut au débouquement de l’île de Sein. C’était pitié de voir ces pauvres planches baptisées emportées par le vent et le flot. Tous ceux de la côte étaient accourus ; on se montrait l’un à l’autre le navire à l’agonie, mais sans pouvoir rien faire. Judok-Naufrage se tenait tout seul, sur son rocher, la gaffe à la main. On eût dit qu’avec la malice de son regard il attirait le bâtiment. Nous vîmes le trois-mâts aller à lui jusqu’à quatre ou cinq encablures de la grève ; là il rencontra la Coëtte de Plume : c’est un écueil qui ne découvre qu’aux équinoxes ! Aussitôt il s’arrêta court, les voiles s’abattirent, et tout s’en alla en débris. Nous étions accourus pour voir s’il arriverait quelque naufragé ; mais la mer n’apportait que des coffres, des futailles et des planches brisées. Personne n’avait encore trouvé le cœur d’y toucher. Judok seul était à l’ouvrage, dans la houle jusqu’au ventre et joyeux comme un chat-huant qui mange des roitelets, quand voilà tout à coup quelque chose de noir qui glisse entre deux lames ; le cordier jette son croc et amène une cage. Au dedans, il y avait un grand oiseau noyé tel qu’aucun de nous n’en avait jamais vu, et au-dessus un