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dans toutes les directions. Dès que la barque eut abordé, nous gravîmes rapidement la falaise, et nous aperçûmes enfin distinctement l’incendie, qui semblait concentré à l’intérieur de la cabane. Les flammes cependant commençaient à percer la toiture et en sortaient par bouffées étincelantes ; autour de la hutte se pressaient les gens accourus des habitations les plus voisines, mais tous se tenaient inactifs, regardant le feu et échangeant des exclamations confuses. Je demandai vivement ce qui empêchait d’entrer : on me répondit que la porte était fermée, et tous mes efforts, joints à ceux de Salaün, ne purent l’ébranler. Contre l’ordinaire, elle était d’une seule pièce, fortement bâtie en chêne et barrée à l’intérieur. Pendant que je tâchais de la soulever, un gémissement retentit dans la cabane. Nous nous arrêtâmes en même temps.

— C’est la voix de Judok, dit le gabarier.

Tous les assistans s’étaient approchés et se pressaient sur le seuil pour entendre. Le gémissement se renouvela, mais cette fois une voix ironique l’interrompit. Le cordier n’est point seul ! m’écriai-je. Un éclat de rire strident sembla me répondre. Il y eut un mouvement général parmi les auditeurs, qui se rejetèrent en arrière. Je prêtai de nouveau l’oreille ; les soupirs plaintifs et l’accent railleur continuaient à se faire entendre confusément ; il me semblait distinguer aussi des coups répétés qui ébranlaient sourdement la terre. Salaün et plusieurs autres s’étaient d’abord timidement rapprochés, puis avaient reculé de nouveau. Sans partager leur effroi, j’étais surpris et troublé. Évidemment il se passait chez l’écorcheur quelque chose d’étrange. Je me retournai vers les spectateurs en les excitant à briser la porte ; mais, groupés à quelques pas, ils restèrent immobiles. Je m’adressai alors à Salaün, et je lui reprochai de laisser périr un voisin sans secours. Le vieux gabarier, qui regardait l’incendie les mains sous les aisselles, secoua la tête :

— Ceci n’est pas un feu allumé par les chrétiens, dit-il avec conviction, l’aide des hommes n’y peut rien !

— Alors nous essaierons des secours de l’église, dit un prêtre qui parut au haut du sentier.

Tout le monde se découvrit ; je courus à sa rencontre, et je lui expliquai en quelques mots ce qui se passait. C’était un vieillard encore vert et doué de cette activité du cœur toujours en éveil.

— Etes-vous certain que cette porte est la seule entrée ? me demanda-t-il.

— Certain, répliquai-je.

Il ordonna à ceux dont les demeures étaient les moins éloignées de courir chercher des haches et des leviers. Pendant ce temps je voulus