Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/897

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

satisfait, grommela une malédiction contre le meunier qui continuait à rire, et alla prendre un des bouts du sac qu’il venait de décharger. Tous deux le portèrent à la cabane, où je les suivis ; mais, à peine entré, Judok s’arrêta avec un cri et laissa retomber la poche de mouture. Il venait d’apercevoir Beuzec accroupi sur le foyer et occupé à recouvrir de cendre des pommes de terre qu’il retirait de sa besace.

— Lui ! s’écria le kacouss avec une indicible expression de surprise ; que les saints nous protègent ! Par où est-il entré ?

— Il me paraît qu’il n’y a pas à choisir, dit Guiller en montrant la porte.

— Non, non ! reprit le cordier avec force ; quand je suis sorti, il n’y était pas ; je n’ai point quitté le seuil, et il n’a pu passer sans être vu.

— Par où alors serait-il venu ? demandai-je en regardant autour de moi la cabane, qui n’avait aucune ouverture.

— C’est ce que le reptile seul pourrait dire, murmura Judok, qui lança au jeune garçon un regard où la colère se mêlait à la crainte.

Beuzec avait tout écouté d’un air indifférent et continuait à ranger ses pommes de terre sur le foyer.

— Qu’est-ce qui étonne mon père ? dit-il enfin tranquillement ; le vent ne sait-il pas bien entrer sans qu’il y ait de porte ?

— Entendez-vous ! s’écria le kacouss, il l’avoue ! Le malheureux peut venir et aller sans que je le sache ; je ne suis plus le maître dans mon pauvre logis ! Il peut tout prendre ici à sa fantaisie !…

— Il y a donc à prendre, mon père ? demanda Beuzec en appuyant pour la seconde fois sur cette appellation avec une ironie de tendresse. Le cordier se retourna vers lui l’œil allumé.

— Qui a dit cela ? s’écria-t-il.

— C’est vous, répliqua Beuzec.

— Tu mens !

— Demandez au gentilhomme ! A vous entendre, on dirait qu’il y a dans la cabane un trésor.

Beuzec avait prononcé ces derniers mots plus lentement, la tête basse, et regardant le vieillard en dessous. Celui-ci se redressa.

— Où ça, un trésor ? bégaya-t-il ; où l’as-tu vu, damné que tu es ? montre-le donc, parle, voyons, vite, dis où est le trésor ?

Le jeune garçon ne répondit rien ; il continuait à sifflotter entre ses dents d’un air sardonique. Judok se retourna vers nous.

— Dieu lui a donne une tête de brute[1], dit-il en ricarnant ; il chante comme les goëlands de la grève, sans savoir ce qu’il dit. Plût à Dieu que le pauvre homme d’ici eût un trésor ! Il bluterait sa farine plus blanche et ferait ses miches plus grandes.

  1. Expression bretonne ; pour désigner un fou on dit pensaout, mot à mot tête de brute.