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de la mer sont les protégés du bon Dieu : tandis qu’ils dorment, la semaille se fait sous l’eau, leur moisson grandit, et, le jour venu, ils n’ont qu’à récolter. Je gage que le père Salaün fait maintenant quelque rêve royal ! Il voit entre deux eaux le grand congre aux yeux de perle ou le banc de sardines d’argent, et il engage son ame au diable pour voir le filet qui prend tout. Nous arrivons tout juste, pour sauver un chrétien de la damnation.

À ces mots, il rapprocha ses deux mains réunies en forme de porte-voix et poussa un de ces cris prolongés par lesquels les marins s’appellent sur mer. Le gabarier se secoua aussitôt et releva la tête. Guiller éclata de rire. — Eh bien ! vieux marsouin, dit-il, tu vois que les gens de terre savent aussi parler, au besoin, la langue marine.

— J’ai cru que c’était un canonnier de marine qui me hélait, répliqua ironiquement Salaün en faisant allusion à la maladresse proverbiale de ces derniers pour tout ce qui concerne les habitudes nautiques.

— Allons, tout le monde sur le pont ! reprit le meunier, qui continuait à parodier le langage du gaillard d’avant ; j’apporte de quoi faire le biscuit.

Il avait délié les cordes qui tenaient les sacs de mouture attachés sur le bât ; Salaün vint l’aider. Je profitai du moment pour m’informe r des moyens de visiter les belles grottes de Morgate ; Salaün m’offrit sa barque, nous tombâmes d’accord du prix, et il fut convenu que nous partirions à la descente de la marée, qui était alors étale. En attendant, je gravis le rocher qui fermait au nord la petite crique, et le lac de Douarnenez m’apparut sous les lueurs déjà obliques du soleil. Les côtes brunes s’arrondissant autour des eaux bleues, çà et là empourprées par des rayons plus vifs ou moirées par de blanches lueurs, donnaient à la baie entière l’apparence d’un gigantesque coquillage aux bords rugueux et à l’intérieur irisé de nacre. On apercevait, de loin en loin les voiles blanches des pêcheurs ou les voiles roses des gabariers qui glissaient à l’horizon et allaient se noyer parmi les splendeurs du soir. Aucun bruit dans cette immense étendue, si ce n’est la rumeur de la mer et quelques bourdonnemens d’insectes. L’odeur marine des algues arrivait jusqu’à moi mêlée aux parfums mielleux des troncs et à la senteur amère des genêts. Les pointes de Saint-Hernot, de Morgate et de Trebéron se dressaient successivement au nord comme des bastions géans ; çà et là des hameaux tachetaient la lande.

Après avoir long-temps promené les yeux sur ce merveilleux spectacle, je les abaissai vers la petite anse creusée à mes pieds. Le meunier et Salaün étaient rentrés ; je, n’apercevais plus que la gabare, échouée, le cheval broutant les rares gazons marins qui veloutaient le roc, et quelques oiseaux de mer se jouant le long des anfractuosités ;