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qu’elle portait sur la tête, et nous devança dans le sentier, de manière à rompre l’entretien. Guiller me regarda de côté. – En voilà de la fierté ! me dit-il ironiquement ; la petite ne veut pas renoncer à avoir une marraine au-dessus du firmament.

Je reportai les yeux avec curiosité sur Dinorah, qui continuait à marcher devant nous. Ce n’était point la première fois que j’entendais parler de ces créatures d’élection qu’un heureux hasard avait faite les protégées de quelque sublime patron. Je savais qu’en Bretagne, où la légende chrétienne s’est partout substituée à la mythologie gauloise, où la Vierge et les saints ont remplacé les fées de l’Armor, ces interventions surhumaines ne sont point aujourd’hui même sans exemple. J’avais entendu citer la fouacière de Saint-Matthieu, dont l’ange Gariel pétrissait les pains azymes, et le pilote de l’île de Batz, à qui Jésus-Christ avait appris les paroles qui relèvent le navire en détresse ; mais c’était la première fois que je voyais de mes yeux une de ces favorites du ciel. Bien que familiarisé depuis long-temps avec les inventions de la fantaisie populaire, j’avais quelque peine à entrer dans ce nouveau domaine, à prendre au sérieux la naïveté de cette foi qui me transportait en plein moyen-âge. Je contemplais tout surpris cette pauvre paysanne qui se croyait sincèrement filleule de la reine des anges, et qui sentait sur elle une bénédiction particulière ! Cette persuasion avait, du reste, imprimé à toute sa personne un caractère de pureté plus digne et plus sereine ; une fois averti, on en restait frappé : C’était la grace de la jeunesse avec le fermeté de l’âge mûr et la placidité de la vieillesse. Sous cette enveloppe sans éclat, on devinait une flamme intérieure dont le reflet brillait doucement au fond de deux yeux couleur de mer. Je n’eus point le temps de demander au meunier de nouvelles explications : nous étions arrivés à une cabane de gabarier [1], que j’appris alors être celle du père de Dinorah. La maisonnette était de granit, couverte en ardoises, contre l’usage, et d’un aspect moins misérable que celles qui parsèment nos grèves. On avait profité d’une échancrure assez profonde du coteau pour ménager derrière la cabane un courtil bordé d’aubépines et de troënes. En avant s’ouvrait une petite crique pailletée de coquillages dont les débris nacrés étincelaient au soleil. À l’ouverture même de cette espèce de port, des filets séchaient sur le roc, et une barque était échouée ; le gabarier dormait au pied du rocher, la face tournée vers le sable et le front appuyé sur ses deux bras repliés.

— Voilà Salaün qui récite la prière de saint Lâche, dit le meunier en me montrant le dormeur avec le manche de son fouet ; ces fermiers

  1. Nom donné en Bretagne aux bateliers qui exploitent les produits maritimes, tels que varechs, galets, sables marins, etc.