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rauque de l’Océan dont les intermittences régulières semblent mesurer le temps. Ailleurs, l’aspect séduit par la variété ; ici il impose par son unité : la même impression vous arrive par tous les sens, et cette impression a je ne sais quoi de fortifiant et d’austère. La brise de mer est d’une nature purifiante ; comme l’air des montagnes, elle produit une sorte d’excitation salutaire ; après l’avoir respirée, on se sent plus d’activité, plus d’initiative ; la grandeur du spectacle réagit au dedans et communique à l’être intérieur son énergique gravité. J’éprouvai d’autant plus vivement cette impression, que je retrouvais les rudes paysages de la Bretagne après un long séjour dans l’énervante atmosphère des villes. Ce que je revoyais avait en quelque sorte pour moi le charme du souvenir et celui de la nouveauté. Je reconnaissais mes sensations d’autrefois mais ravivées et plus entières.

Après m’être arrêté au cap La Chèvre, je me dirigeais vers le nord en suivant le promontoire. J’avais passé Rostudel ; j’apercevais en avant quelques arbres rabougris, et, derrière leur feuillage échevelé par la brise, le hameau de Kercolleorc’h, lorsque mon œil s’arrêta, à gauche, sur une étroite oasis dont la verdure rayait la brande. C’était une petite ravine de quelques pas s’inclinant vers la baie et que vivifiait une source appauvrie par les chaleurs de juillet. Au plus profond de ce pli de terrain ; quatre pierres brutes avaient été disposées de manière à former une sorte de fontaine que protégeaient quelques touffes de saules. Une jeune paysanne s’y tenait assise, le bras appuyé sur sa’ cruche de terre de Cornouaille, dont l’orifice était recouvert d’une toile fine et blanche. L’arrangement de son costume flétri témoignait d’un goût remarquable. La coiffe de toile rousse encadrait avec soin l’ovale un peu large du visage ; un petit mouchoir de cotonnade, brune évasait gracieusement ses plis sur la nuque et enveloppait les épaules comme deux ailes ; une jupe bordée de rouge retombait jusqu’au-dessus de la cheville, et laissait voir deux pieds nus d’une forme parfaite et de la couleur du bronze florentin.

Je m’étais arrêté pour la regarder ; elle me salua d’un de ces bonjours cadencés qui donnent tant de grace caressantes au vieux langage celtique. Je m’approchai, attiré par la douceur de la voix et par la fraîcheur de la source. En me voyant essuyer mon front, la Rébecca armoricaine me demanda si je voulais boire, et, sur ma réponse affirmative, elle souleva la cruche en riant et approcha le goulot de mes lèvres, comme je la remerciais à la manière bretonne en lui souhaitant la bénédiction de Dieu, le pas d’un cheval retentit au revers du coteau, et la silhouette d’un meunier se dessina au détour de la montée. C’était un homme encore jeune, à la mine ironique, et vêtu d’un habit de couleur opale qui dénonçait, sa profession. Assis de côté sur ses sacs de farine il cheminait en sifflant et battait la mesure des deux pieds