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ses ouvrages inachevés. Il ne se contentait pas de se proposer pour but la beauté parfaite, il voulait établir la perfection dans les moyens mêmes d’exprimer la beauté. Après avoir étudié le visage humain sous les formes les plus variées, comme on peut le voir dans les collections de Caylus, d’Hollar, de Chamberlain, de Bartolozzi ; après avoir réuni laborieusement tous les traits dont se compose l’expression des passions, il voulait sans cesse modifier les moyens matériels dont une longue tradition avait démontré la puissance et la fidélité. Or, c’est à ce désir immodéré de perfectionner toute chose, depuis la composition des couleurs jusqu’à la composition des vernis, à cette habitude constante de ne jamais s’en tenir aux méthodes éprouvées depuis longtemps, que nous devons attribuer l’altération rapide et profonde des ouvrages de léonard. Il faut donc, dans la poursuite même de la perfection savoir s’arrêter à temps, et surtout ne pas vouloir tout faire par soi-même. Le champ de l’art est bien assez vaste sans y ajouter encore le champ de l’industrie. Si Léonard se fût contenté des procedés vulgaires, la Cène de Milan serait aujourd’hui aussi jeune, aussi fraîche que l’École d’Athènes. Il y a donc dans la destinée des œuvre de Léonard une leçon qui ne doit pas être négligée : que les peintres poursuivent, comme lui, la perfection de la beauté, qu’ils apprennent a son école l’art trop oublié de se contenter difficilement, et qu’ils s’en tiennent pour l’expression de leur pensée aux moyens matériels éprouvés depuis long-temps.


GUSTAVE PLANCHE.