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pour frapper la monnaie, on un appareil pour soutenir l’homme sur l’eau ou dans l’air. L’invention, sous toutes ses formes, était son bonheur, sa vie. Ce qu’il a dépensé d’intelligence, de volonté, pour élargir le domaine de la science, ne saurait se calculer. À compter seulement les voies qu’il a tentées, les voies qu’il a ouvertes, l’œil se trouble, et la pensée demeure confondue. On se demande comment un seul homme a suffi à l’accomplissement d’une pareille tâche. Quoique Léonard soit mort à soixante-sept ans, non pas dans les bras de François Ier, qui était à Saint-Germain-en-Laye, mais au château de Cloux, près d’Amboise, dans les bras de Francesco Melzr, on a peine à comprendre que l’intelligence la plus pénétrante, la plus active, ait trouvé dans cette longue carrière le temps de poser si clairement tant de problèmes nouveaux, et surtout de les résoudre avec tant de précision.

Après ce rapide coup d’œil sur les travaux encyclopédiques de Léonard, il nous reste à marquer sa place dans l’histoire de la peinture ; car, bien qu’il ait cultivé avec un égal bonheur les trois arts du dessin, il nous est bien difficile d’apprécier son mérite comme architecte et comme sculpteur. Où sont les monumens qu’il a bâtis ? Les armées de Louis XII et de François Ier les ont renversés. On dit, il est vrai, qu’il a fourni à Francesco Rustici les modèles des trois statues placées sur l’une des portes du baptistère de Florence ; mais peut-être s’est-il borné à aider Rustici de ses conseils. C’est comme peintre que Léonard appartient à l’histoire, c’est comme peintre qu’il s’agit de le caractériser. Né trente et un ans avant Raphaël, vingt-six ans avant Michel-Ange, quarante-deux ans avant le Corrége, il n’a certainement exercé aucune action sur le second ; le carton de la Bataille d’Anghiari n’a pas laissé de trace dans le Jugement dernier. Michel-Ange a poursuivi sa route sans s’inquiéter de la méthode choisie par son rival ; mais il est incontestable que Raphaël et le Corrége doivent beaucoup à Léonard. Les chambres du Vatican commencées cinq ans après l’achèvement du carton de Léonard, ont gardé le souvenir de cette leçon éloquente. Raphaël n’avait pas besoin des conseils du Vinci pour donner à ses madones la grace divine qui règle tous leurs mouvemens ; dans l’École d’Athènes, dans l’Héliodore, il s’est souvenu du Vinci, comme il s’est souvenu de Michel-Ange dans l’Incendie du Borgo, dans les Sibylles de Sainte-Marie de la Paix, dans l’Isaïe de Saint-Augustin. C’est à Léonard plus encore qu’à Michel-Ange que Raphaël doit l’agrandissement de sa manière, et j’ajoute que l’étude de Léonard était pour Raphaël beaucoup plus profitable que l’étude de Michel-Ange ; car la peinture de Léonard, plus savante que la peinture de Raphaël, ne la contredit pas, tandis que la peinture de Michel-Ange, appuyée sur un savoir non moins positif, mais plus fastueux, plus heureux, plus empressé de se montrer, s’accorde