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rendit au gonfalonier Soderini l’argent qu’il avait reçu. Au reproche de friponnerie fondé sur l’ignorance et la sottise, il répondit par le remboursement intégral des avances qui lui avaient été faites ; c’était la seule manière de confondre ses calomniateurs.

Mené à Rome par Julien de Médicis, à l’avènement de Léon X, son frère, au pontificat, il fut chargé de quelques travaux, mais dut bientôt y renoncer en voyant la manière railleuse dont ses efforts étaient accueillis. Le pape, qui lui avait commandé une sainte famille pour sa belle-soeur, pour une princesse de Savoie fiancée à son frère. Julien, apprenant : qu’il s’occupait à distiller des huiles pour la composition d’un nouveau vernis, le déclara incapable sans plus ample examen. « Puisqu’il songe à la fin, dit Léon X, avant de songer au commencement, il ne fera jamais rien. » Et les courtisans applaudirent à cette saillie, comme s’ils eussent entendu une des plus fines railleries d’Aristophane ou de Lucien. Cependant le tableau destiné à la belle-soeur de Léon X fut achevé, et s’il faut en croire Amoretti, il serait aujourd’hui passé en Russie. Du reste, si Léonard renonça au plus grand nombre des travaux qui lui étaient offerts ou promis, il ne quitta cependant pas Rome sans laisser une trace durable de son savoir et de son génie. La Vierge de Sant’ Onofrio est, en effet, une des plus charmantes créations de son pinceau. Si cette Vierge, comme on l’assure, a été retouchée par Palmaroli, il faut convenir que la retouche a été exécutée avec une discrétion, une réserve, une prudence, à laquelle nous ne sommes pas habitués. Les Poussin, les Salvator et les Titien de notre galerie en savent bien quelque chose. Retouchée ou. Non par Palmaroli, et j’avoue qu’il ne m’a pas été possible de vérifier cette assertion, la Vierge de Léonard, peinte à fresque au fond d’une galerie du couvent, mais très bien éclairée, placée sous verre comme une relique, est aujourd’hui encore d’une fraîcheur admirable, quoiqu’elle soit achevée depuis trois cent trente-six ans. Si Léonard, docile aux traditions vulgaires, eût consenti à peindre la Cène de Sainte-Marie-des-Graces et la Bataille d’Anghiari d’après les procédés qu’il a employés à Sant’ Onofrio, l’Europe pourrait aujourd’hui étudier ces deux chefs-d’œuvre dans toute leur splendeur, dans toute leur nouveauté. Il y a, dans la Vierge de Sant’ Onofrio une grace, une pudeur, une béatitude, une suavité de sourire que Léonard n’a jamais surpassée. Le Christ placé dans les bras de la Vierge ravit par son enjouement enfantin. Quant au donateur, dont le nom n’est pas venu jusqu’à nous, et dont la tête figure dans cette composition, sa physionomie exprime heureusement un mélange de bonhomie et de gravité. Combien ne devons-nous point déplorer que Léonard, avant de se résigner aux procédés de la fresque, éprouvés depuis long-temps, ait tenté à. Milan et à Florence des essais si malheureux ! Fra Angelico dans la chapelle de Nicolas V, Signorelli