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évidente l’ardent amour que Léonard portait à la beauté. Un peintre nourri dans d’autres traditions, élevé dans une autre école ; se fût fait une fête d’épouvanter le spectateur par le désordre et la laideur, par les mouvemens convulsifs de la physionomie : Léonard, dont la beauté, l’élégance et la grace formaient la préoccupation constante, n’a vu, et je l’en remercie, dans la tête de Méduse que la solution d’un problème digne de sa haute intelligence, la conciliation de l’épouvante et de l’admiration. Il est impossible en effet d’effacer de sa mémoire cette tête si finement, si profondément conçue. Le regard.immobile et le sourire menaçant de cette Méduse demeurent gravés dans notre ame et défient toutes les distractions. Aucune des images qui passent devant nos yeux ne réussit à détrôner la Méduse de Léonard. Il y a dans ce visage demi-viril, demi-féminin, un accent de vengeance et de passion qui fascine, qui enchaîne l’attention. Quoi qu’on fasse, il faut, bon gré, mal gré, se souvenir de cet admirable et terrible visage. À ne considérer ce morceau qu’au point de vue purement esthétique, il est certain qu’il serait plus beau, si l’auteur eût consenti à ne pas traiter toutes les parties de son œuvre avec le même soin, la mène diligence : le sacrifice des élémens secondaires eût relevé la valeur des démens principaux ; mais, si nous voulons tenir compte du temps où cette œuvre fut achevée et nous souvenir de l’âge de l’auteur, qui, selon toute probabilité, n’avait guère alors plus de trente ans, nous sommes forcé d’admirer le zèle qu’il a porté dans toutes les parties de cette composition, bien que ce zèle soit partout prodigué avec trop d’entraînement. Les serpens entrelacés dans la chevelure de Méduse pourraient sans inconvénient être éclairés d’une lumière moins abondante ; c’est une pensée qui se présente naturellement à tous les esprits et qui n’admet pas même la discussion. Oui, sans doute ; mais quelle prodigieuse élégance dans la forme des lèvres ! quelle terreur dans la profondeur des orbites, dans l’enchâssement des yeux, dans l’immobilité du regard ! et comme le soin excessif que l’auteur a porté dans l’exécution des moindres détails disparaît devant l’expression puissante de cette tête si terrible et si belle ! Quant à moi, je le confesse, parmi les œuvres de Léonard, il en est bien peu qui m’aient enseigné aussi clairement, je ne dis pas le secret de son génie, mais le secret du charme qui s’attache à toutes les manifestations de sa pensée. Je ne crains pas de le dire, il y a dans la Méduse du palais des Offices le germe de la Joconde que nous admirons au Louvre. Si l’ouvrage placé sous nos yeux est revêtu d’une perfection plus éclatante, s’il révèle un savoir plus profond, une connaissance plus intime et plus complète de la forme et de la grace, il est permis d’affirmer que la Méduse présage la Joconde.

Nous avons vu, dans la lettre publiée par Amoretti, et dont j’ai tout