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la kabbale. C’est qu’en vérité, le moyen-âge est si divers, Si compliqué, si obscur, qu’il ne faudrait rien moins pour y suffire qu’une érudition universelle. Revenons donc à ce genre de conditions qu’on a le droit rigoureux d’exiger : si étendue et si variée que fût la connaissance des monumens, elle n’aurait aucun prix, si elle n’était pas au service d’une critique ferme, solide, élevée, capable enfin de comprendre les doctrines les plus diverses et même de les dominer. Cette fois encore nous sommes heureux, de rendre pleine justice à M. Hauréau ; il pose parfaitement le problème scolastique, et il en comprend très bien les deux grandes solutions opposées. Ce n’est pas à lui qu’il faut rappeler que le vrai et profond réalisme, celui de Platon, de saint Augustin, de Malebranche, ne consiste pas à réaliser, toutes les chimères de l’imagination, à prodiguer l’existence à toutes les abstractions de la pensée, pas plus, du reste, que le vrai nominalisme n’est tout entier dans les exagérations puériles de quelques-uns de ses défenseurs.

M. Hauréau a d’autant plus de mérite à donner son vrai sens au réalisme, qu’il incline ouvertement à l’opinion contraire. On sent dans tout son livre que, s’il avait vécu au XIVe siècle, il eût marché sous le drapeau d’Okkam. Sans contester le moins du monde le droit de M. Hauréau, après avoir reconnu, au contraire, que sa prédilection pour une certaine doctrine ne trouble en rien la clarté de son esprit et ne fait pas chanceler un seul instant son impartialité, il nous sera permis d’exprimer ici nos vifs regrets. La tendance de M. Hauréau vers le nominalisme est chose d’autant plus grave, que nous avons affaire à un esprit net, pénétrant et résolu. Il sait ce qu’il dit et où il va. Or, à quelles conséquences mène un nominalisme rigoureux ? C’est M. Hauréau lui-même qui va nous répondre. La vraie question, pour lui comme pour nous, entre le réalisme et le nominalisme est celle-ci : Quelle est la valeur des connaissances humaines ? l’esprit humain a-t-il reçu le privilège sublime de réfléchir la vérité, je ne dis pas toute la vérité, mais quelques purs rairons émanés de sa splendeur ? Ou bien, est-il condamné à rester enfermé dans ses conceptions, comme dans une prison sans issue, soupirant éternellement, mais en vain, après la vérité absolue, seul objet qui puisse satisfaire son ardente aspiration ?

Voilà le problème, et voilà les deux alternatives qu’il présente à la philosophie. Le réalisme choisit la première, et le nominalisme la seconde. Qu’importe maintenant que les nominalistes se divisent, que les uns s’emportent jusqu’à dire avec Roscelin, Okkam, Condillac, que les idées absolues ne sont que des mots, et que toute science se réduit à une langue bien faite ; que les autres, plus circonspects et observant mieux l’esprit humain, reconnaissent avec Abélard et Kant, au-dessus des sensations particulières, des concepts généraux, et par-delà les mots variables du langage, les catégories fixes et constantes de la pensée ? Par