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philosophique et sur l’université de Paris, c’est rappeler un souvenir qui vit encore dans la mémoire de tous ses contemporains.

Voici les ressources que l’éditeur du grand dialecticien du XIIe siècle avait sous la main. Le conseiller d’état François d’Amboise donna, en 1616, une partie des œuvres d’Abélard. Un certain nombre d’autres pièces étaient dispersées dans les collections bénédictines, telles que le Trésor de Martenne et Durand, et celui de B. Pez. D’autres enfin, perdues jusqu’à ces dernières années dans la poussière des bibliothèques de la France et de l’Europe, ont été récemment publiées par M. Rawlinson, par M. Rheinwald et par M. Cousin lui-même. Il fallait rassembler toutes ces pièces, en purifier le texte d’après les meilleurs manuscrits, disposer les matières dans un ordre régulier, vérifier d’innombrables citations, œuvre immense, difficile, ingrate ; et il faut ajouter très coûteuse, qui, en échange de patientes recherches, de pénibles et obscurs travaux, ne pouvait procurer d’autre avantage que celui d’avoir acquitté envers un grand esprit la dette de la France et de la philosophie. On peut s’étonner qu’une telle entreprise ait été conçue et réalisée à travers les agitations de ces dernières années. Ceux-là seuls cesseront d’être surpris, qui savent la force que peut donner à une ame élevée l’admiration passionnée du génie jointe au culte du beau et du vrai.

Abélard et la philosophie du XIIe siècle une fois bien connus, le nouvel historien de la scolastique, M. Hauréau, n’avait sur ce point rien de mieux à faire que de résumer les travaux antérieurs et de rendre leur valeur à quelques figures accessoires, trop effacées peut-être derrière le personnage principal. Je ne parle ni de Roscelin, ni de Guillaume de Champeaux, ni même de Gilbert de la Porrée auxquels il suffisait d’ajouter quelques traits ; je veux plutôt parler de Rémi d’Auxerre, réaliste, intelligent que M. Hauréau défend avec raison contre les sévérités de Tennemann ; je citerai aussi Jean de la Rochelle, dont les ébauches psychologigues ont pu servir de canevas aux vastes études d’Albert-le-Grand et de saint Thomas ; je désignerai enfin Alexandre de Hales et Guillaume d’Auvergne, qui nous conduisent à la grande époque du XIIIe siècle. Elle commence au moment où les philosophes arabes, les Al-Kindi, les Al-Farabi, les Avicenne, les Gazâli, les Averrhoës, tous ces illustres docteurs sortis des écoles de Bagdad et de Cordoue, sont connus de l’Europe et lui mettent dans les mains pour la première fois les grands traités d’Aristote, la Physique, le Traité de l’ame, la Métaphysique ; les ouvrages d’histoire naturelle, de politique et de morale, tout cela commenté avec une subtilité infinie et une sagacité souvent admirable, enrichi de recherches originales et tout pénétré de l’exégèse hardie des philosophes alexandrins.

Les mêmes systèmes qui avaient occupé le XIIe siècle reparaissent