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encore, si cela est possible, que l’esprit humain est fait pour vivre et pour grandir dans la vérité, et non pour s’abîmer dans le scepticisme, peut-on être surpris que ces philosophes en soient venus à se dire : Profitons des enseignemens de l’histoire ; admirons le génie des métaphysiciens systématiques, mais ne les imitons pas ? Ils ont voulu atteindre l’inaccessible, et, connaissant mal le véritable usage de l’esprit humain, ils ont perdu le secret de sa vraie force et de sa vraie grandeur. Acceptons la nature humaine telle que Dieu l’a faite, avec ses limites, mais aussi avec toutes ses puissances. Les philosophes ont aspiré à être complets, mais dans le périssable et dans le faux ; résignons-nous à rester incomplets ; mais dans le vrai et dans l’éternel.

Voyez à l’œuvre des faiseurs de systèmes : l’un pose Dieu au nom de la raison, et, ne pouvant en déduire l’univers, se décide à la supprimer ; l’autre, contemplant la nature avec ses sens et ne pouvant toucher de ses mains l’ame et Dieu, l’esprit et l’idéal, les déclare fantastiques ; un troisième part du moi, et, enchaînant ses déductions avec une rigueur admirable et une absurdité inouie, aboutit à faire de l’univers et de Dieu même des développemens du moi, des créations de notre chétive personnalité. Chimère, orgueil, folie que tout cela ! Ne mutilons pas l’homme, sous prétexte de rendre son esprit plus simple et plus fort ; ne dégradons pas la vérité, pour l’abaisser à notre mesure ; reconnaissons comme également légitimes dans leurs justes limites les sens, la raison, la conscience ; faisons aussi au sentiment et à l’imagination leur équitable part ; n’excluons ni les aspirations d’une ame transportée par la poésie, ni les mystiques extases d’un cœur pieux et plein d’amour, pourvu que toute force légitime et naturelle de l’esprit humain trouve dans les autres son contre-poids ; rendons ainsi à l’humanité toutes ses croyances : le monde et ses merveilles infinies, l’ame avec sa liberté, ses devoirs et ses droits, Dieu et sa Providence gage certain de nos destinées immortelles.

Ces vérités, dira-t-on, sont contradictoires. Je réponds que ce qui les fait paraître telles, c’est uniquement que l’esprit humain ne peut ni les épuiser en elles-mêmes, ni en saisir la génération et le lien. Dieu seul a ce privilège, et il l’a gardé pour lui. Notre seule ambition doit être de recueillir ces vérités premières et de les maintenir avec force, malgré les ombres dont elles sont mêlées, en dépit de notre orgueil qui se plaint et de notre curiosité qui murmure, contre les négations et les subtilités des esprits contentieux.

Je dirai de même qu’il n’y a pas contradiction absolue entre les systèmes, mais simplement différence ; celui qui, fixant ses regards sur les élémens divers de la nature humaine, en cherche le développement dans l’histoire a un point de vue pour saisir les systèmes dans leur vrai jour, une règle infaillible pour les juger. Il suit Platon, quand Platon