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que, par une nouvelle invasion des barbares, tous les grands monumens scientifiques du XIXe siècle vinssent à périr ; admettez que nos Cuvier et nos Laplace ne fussent pas plus heureux que les Archimède, les Apollonius de Perge, les Diophante et les Ptolémée, et supposez enfin qu’à deux mille ans de notre âge, quelque habile homme entreprit d’écrire l’histoire des sciences : qu’elle ne serait pas sa joie, si, dans le coin le plus obscur d’une bibliothèque, il mettait la main sur un de ces livres de classe, comme Legendre, comme Letronne, comme M. Regnault, n’ont pas dédaigné d’en écrire, et où se trouve concentré tout le meilleur de la science d’une époque ! C’est le sentiment qu’a éprouvé M. Henri Martin en trouvant à la Bibliothèque nationale, le précieux manuscrit, signalé, il est vrai, par Visconti, mais qu’aucun avant n’avait eu le courage de saisir et le talent de déchiffrer. Le traité de Théon de Smyrne est une manière de manuel d’astronomie du IIe siècle de l’ère chrétienne. Si quelqu’un doutait de l’exactitude de cette analogie, je me hâterais de me réfugier derrière le témoignage de deux savans illustres, M. Biot et M. Hase, qui se sont accordés, avec l’autorité qui leur est propre, à louer également en M. Henri Martin les connaissances exactes du savant et la sagacité du philologue[1]. Tant de recherches spéciales n’ont pas suffi à notre futur historien, l’œil fixé sur l’idéal, en digne disciple de Platon, il s’est jugé trop loin encore d’une préparation accomplie ; il a senti que pour juger les anciens, qui ne séparaient pas l’étude expérimentale de la nature des spéculations de la philosophie, il ne suffisait pas d’une érudition vaste et sûre, d’une moisson, si ample qu’elle fût, de notions précises : il a voulu dominer les faits du haut d’une doctrine générale, et, après de longues années de méditations, il nous donne aujourd’hui, sous le titre de Philosophie spiritualiste de la nature, le fruit de ses études métaphysiques.

M. Henri Martin n’apporte pas un système, il a trop de modestie tour cela. Bien qu’il réserve avec un soin jaloux sa parfaite indépendance, et qu’il ne laisse jamais échapper l’occasion de marquer ce qu’il y a de particulier dans ses vues, en excluant, trop minutieusement peut-être, toutes celles qui ne lui conviennent pas, en somme, à ne considérer que les grandes lignes de sa doctrine, M. Henri Martin appartient à la nouvelle école spiritualiste. En l’enrichissant par quelques théories nouvelles, en la combattant quelquefois sur des points accessoires, ce qui est son droit, il fait d’autant mieux apercevoir combien il en est sur les principes fondamentaux le disciple aussi libre que fidèle. Son ouvrage appelait donc notre attention au même titre que le livre De

  1. Voyez dans le Journal des Savans deux articles de M. Hase (mars et mai 1850), et un article de M. Biot (avril 1850) sur la publication de M. Henri Martin.