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s’empêcher de dire à Sara qu’il avait instruit M. de La Montette des intentions de Mme Léeman et autres particularités peu édifiantes. Alors la jeune fille entra dans une grande colère : « En vérité, monsieur, dit-elle, je suis fâchée de vous avoir connu et d’avoir été affectueuse et bonne avec vous. De quel droit vous mêlez-vous de ce qui me concerne ? de quel droit révélez-vous des secrets et déshonorez-vous ma mère ?… Au reste, ajouta-t-elle en élevant la voix, je ne sais pourquoi nous allons ainsi ensemble. C’est sans doute pour faire croire que nos relations n’ont pas été toujours innocentes. Osez le dire, monsieur ! »

Nicolas ne voulut même pas répondre. Le rouge sur le front, la mort dans le cœur, il n’eut pas la force d’être généreux en venant en aide au mensonge de la jeune fille. Il salua gauchement la société, et, ce ne fut qu’en poursuivant sa route qu’il exhala tour à tour ses plaintes et ses imprécations. Une seule pensée venait tempérer sa douleur, c’était de reconnaître que la Providence l’avait justement frappé.


XVIII. – LES MARIAGES DE NICOLAS.

Les mariages de Nicolas sont le côté triste de sa vie ; c’est le revers obscur de cette médaille éclatante où rayonnaient tant de beautés au profil gracieux. L’hymen devait faire expier durement à. Nicolas les faveurs si multipliées de l’amour, et, d’après son système d’une Providence qui faisait succéder toujours l’expiation à la faute commise, il n’avait nulle raison de se plaindre des douleurs morales qui l’accablèrent jusqu’aux derniers jours de sa vie. Il trouva du reste quelque adoucissement à ses maux dans cette pensée que l’enfer existait déjà pour lui sur la terre, et que la mort le renverrait pur et suffisamment éprouvé dans le sein de l’ame universelle. Cette doctrine, longuement développée dans sa Morale, a l’inconvénient de n’empêcher personne de se livrer au mal, en bravant dans une heure d’enivrement les conséquences fatales qui ne doivent se manifester que plus tard. N’est-ce pas là une singulière application de cet épicuréisme superstitieux que Cyrano, l’un des élèves de Gassendi, prêtait à Séjan, menacé du tonnerre :

Il ne tombe jamais en hiver sur la terre :
J’ai pour six mois encore à me rire des cieux,
Ensuite je ferai ma paix avec les dieux !

Le premier mariage de Nicolas eut lieu à l’époque de son premier séjour à Paris, dans des circonstances singulières. Il se promenait au Jardin des Plantes relevant depuis peu d’une maladie que lui avait causée le triste dénoûment de son aventure avec Zéfire. Deux dames anglaises vinrent s’asseoir sur un banc où il se reposait. L’une d’elles