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— Comment se fait-il que je l’aie vue entrer, dit-il, et qu’elle ne soit pas ici ?

— Elle est ici, dit la baronne ; elle est dans la chambre voisine qui donne sur ce salon par une porte vitrée… Tiens-toi bien, elle te regarde peut-être.

— Moi ? dit Nicolas.

— Ainsi que ces messieurs… C’est une grande dame, curieuse de connaître ce qui se passe dans ces maisons qui leur sont interdites, et si…

— Si…

— Enfin, je te l’ai dit, pose-toi bien… sois gracieux !

Nicolas n’y comprenait rien. L’heure du souper était venue. Le jeu fut interrompu, et toute la société prit part à ce banquet, qui est d’usage dans ces sortes de maisons vers une heure du matin. Cependant la dame à la mule verte ne paraissait pas ; tout à coup la maîtresse de la maison, qui était sortie un instant de la salle, revient près de Nicolas et lui dit à l’oreille : — Vous, avez plu… je suis contente de voir ce bonheur arriver à un garçon de notre pays. Seulement, résignez-vous, il y a une condition… vous ne la verrez pas ! C’est bien assez d’avoir vu déjà sa mule verte.

Le lendemain matin, Nicolas se réveilla dans une des chambres de la maison. Le rêve avait disparu. C’était l’histoire de l’Amour et Psyché retournée : Psyché s’était envolée avant l’aurore, l’Amour restait seul. Nicolas, un peu confus, encore plus charmé, essaya d’interroger l’hôtesse ; mais c’était une femme discrète et certainement payée pour l’être. Elle voulut même persuader à Nicolas qu’il était venu dans la maison un peu animé par quelque boisson généreuse… et qu’enfin il avait rêvé. Nicolas, qui ne buvait que de l’eau, n’admit pas cette supposition.

— Eh bien ! lui dit la Masse (elle s’appelait ainsi), maintenant, tremble. Tu ignores quelle est cette dame à la mule verte… Tu ne le sauras jamais.

— Quoi ! je ne pourrai la revoir ?

— Tu ne l’as pas vue.

— La retrouver ?…

— Prends garde d’essayer seulement de suivre sa trace. D’ailleurs elle ne portera plus de mules vertes, sois-en assuré. Tu ne la rencontreras plus à pied, comme hier soir. Oublie tout cela.

Et, pour appuyer ce conseil, elle lui remit une bourse pleine de pistoles que Nicolas jeta à terre avec indignation. Ce fut seulement quelque temps plus tard, dans quelques salons littéraires où il raconta cette aventure, qu’il entrevit là-dessous un mystère relatif à quelque grande dame ; mais à peine à cette époque osait-on appuyer sur de telles