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mots de classique et de romantique pour ne voir que la méthode intellectuelle, qui bien certainement cherche à remplacer l’ancienne, qui bien certainement a gagné du terrain, et nous apercevrons des choses de nature à étonner bien des gens. Assurément, ce qui a triomphé et ce qui triomphe en poésie, ce n’est ni le règne du suffrage universel, ni l’esprit unitaire du XVIIIe siècle. Ce qui a passé ou ce qui tend à passer, c’est le radicalisme qui poursuivait le beau absolu universel, comme il poursuivait la morale naturelle universelle et le prototype absolu du meilleur gouvernement applicable à l’universalité des hommes. Ce qui s’en est allé, c’est l’idéalisme qui prétendait découvrir les principes éternels de la poésie pour en déduire la forme de poésie où toutes les inspirations individuelles devaient se couler, — absolument comme il prétendait découvrir les droits de l’homme pour en déduire la forme de société à laquelle toutes les nations devaient être ramenées. Ce qui a été vaincu, c’est la méthode géométrique qui statuait toujours du général au particulier, qui décrétait un type ou modèle abstrait, et qui prétendait organiser une tragédie ou une société de la même façon en empêchant les individus ou les impressions de se grouper suivant leurs propriétés. Tout cela est grave et curieux, car les hommes et les époques sont tout d’un bloc ; ce qui se fait en poésie n’est que le symptôme de l’être intérieur qui fait tout ce qui se fait. Tout cela est grave, ai-je dit ; oui, sans doute, et fort brave, car tout cela tendrait à prouver que la révolution de 93, loin d’être une aurore, n’a été dans plus d’un sens qu’un coucher de soleil, la queue ou l’agonie du XVIIIe siècle. et que les besoins nouveaux, les tendances nouvelles ne marchent pas avec ceux qui voudraient la ressusciter. Est-ce là pour nous un motif de nous rassurer ? Ce n’est pas précisément ce que je veux dire, car, si les augures indiquent ainsi que le mouvement nécessaire de l’humanité ne va pas du côté du communisme, ils n’indiquent pas que nous, Français, nous serons capables d’aller où il va, et ceux qui ne peuvent pas suivre meurent en route ; mais au moins toutes ces choses peuvent aider à prévoir, et elles n’annoncent pas, je crois, que ce soit au communisme qu’appartiendra le monde, ou que reviendra l’honneur d’apporter aux sociétés leur rénovation


J. MILSAND.