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Depuis la fin de son rectorat jusqu’à sa mort, Campbell fut comme le patron officiel de tous les réfugiés politiques et l’aumônier de toutes les misères. De même qu’il s’était passionné pour les nègres et pour les exilés d’Erin, il se passionna successivement pour les Grecs, pour les patriotes espagnols, pour les patriotes italiens, pour les patriotes allemands, pour la Pologne surtout. L’ardeur avec laquelle il embrassa la cause polonaise tenait du délire : il paya de sa bourse, il paya de son temps. Lors de la grande insurrection, ce fut lui qui fonda le comité polonais pour réunir des souscriptions en faveur du peuple soulevé. Après la chute de Varsovie, ce fut encore lui qui fonda le Polish-Literary-Association, pour rappeler constamment la cause polonaise au souvenir de l’Europe. Le nombre des misères qu’il soulagea est immense. Qu’un hommage respectueux lui soit rendu pour sa générosité et sa bonté, ce n’est que justice ; seulement ce n’est que justice aussi d’ajouter que sa philanthropie elle-même révèle où s’arrêtait son intelligence : elle atteste les limites d’un esprit chez qui une noble pitié cherchait aveuglément à se satisfaire, sans tenir compte de rien que d’elle-même. Un jour, à vingt-quatre ans, il écrivait à un de ses amis : « Toussaint Louverture a été servi sur notre table pendant toutes ces dernières semaines ; je l’adore comme un second Kosciusko, et lord Minto va jusqu’à dire qu’il serait bien naturel de sympathiser avec lui, si l’on pouvait oublier les horreurs qui doivent probablement résulter de son triomphe. » Cette clairvoyance qui voit d’avance dans les choses leurs conséquences, ou qui dans les faits accomplis aperçoit les causes dont ils sont sortis, Campbell ne l’eut jamais. Il n’était qu’un homme dépressions ; il crut toujours que c’était une excellente règle de se décider pour une cause., parce qu’elle était la plus poétique : A soixante ans comme à vingt, il fut un, peu de ceux qui tiennent à honneur d’avoir des principes immuables, c’est-à-dire de juger à priori, de rêver, par exemple, un système de gouvernement constitutionnel, et de marcher quand même avec quiconque le réclame, fut-ce pour des nègres ou des Arabes. À soixante ans comme à vingt, il refléta exactement tous les enthousiasmes successifs de cette classe d’hommes qui est comme l’organe imaginatif des nations. Nous avons vu qu’il avait été le candidat des étudians, il fut le poète des femmes. Lui-même disait souvent : « Les hommes sont trop froids, les femmes seules savent sentir ; rien de ce qui est noble et brillant n’est perdu pour elles. » Cela donne la mesure de Campbell. Comme il n’avait pas eu de jeunesse, il n’eut pas de vieillesse. Jusqu’au bout, il resta fort attaché aux vanités de ce monde : il aimait la société, les gais festins gaiement arrosés ; il organisait des cercles littéraires ; il adorait les enfans, et pour lui c’était péché d’habitude que de s’éprendre un peu en riant de toutes les belles. J’ai déjà dit jusqu’où allait l’imprévoyance