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Plus d’une amertume pourtant se mêla aux douceurs de la coupe. Il avait perdu son plus jeune fils en bas âge ; il vit son fils aîné atteint d’un dérangement cérébral. En 1828, la mort de sa femme le réduisit à un isolement qui souvent fit de lui une âme en peine. À cette époque, il était recteur[1] de l’université de sa ville natale. Malgré l’opposition des professeurs, peut-être même à cause de leur opposition, les étudians de Glasgow l’avaient élu à l’unanimité pour honorer en lui le poète de la liberté, le patriote, le whig inébranlable. Chose inouie, il fut continué trois années de suite dans ses fonctions, qu’il prit, du reste, fort au sérieux.. Tandis que ses prédécesseurs avaient à peine fait acte de présence, lui, au contraire, ne ménagea pas les déplacemens ; il vérifia scrupuleusement les comptes des professeurs ; il fit maintenir aux élèves le droit, qu’on voulait leur enlever, le nommer leur recteur ; il offrit de sa bourse des médailles pour les meilleures compositions poétiques ; enfin il accepta la présidence d’un cercle que les étudians organisèrent sous le nom de Club-Campbell, moitié en vue de défendre les privilèges de l’université, moitié dans une intention politique. N’y eut-il pas un peu de légèreté dans toute cette conduite ? Si Campbell encouragea, par exemple, le goût des vers, est-il bien sûr que ce fût uniquement parce qu’après y avoir bien réfléchi, il avait pensé que c’était là la meilleure chose à faire ? J’en doute. Lui-même, après avoir ouvert des concours poétiques, se prononçait plus tard dans une de ses lettres pour une instruction positive. Sa vie, du reste, est pleine de telles contradictions, et il laisse assez voir en outre combien il était flatté par les ovations des jeunes étudians de Glasgow : elles l’avaient tellement charmé, qu’il voulut en consacrer la mémoire par un ouvrage spécialement dédié à ses électeurs (History of learning), et que souvent il parla de son rectorship comme de l’événement le plus important de sa carrière.

Peut-être eût-il eu des motifs plus dignes pour s’applaudir du rôle qu’il joua dans une autre circonstance. Je veux faire allusion à la part qu’il prit en 1825 à la fondation du London-University. L’Angleterre n’avait alors que les universités d’Oxford et Cambridge, toutes deux fermées de fait aux dissidens par suite des sermens exigés des élèves. À la suite de son second voyage en Allemagne, Campbell conçut le plan d’un nouvel établissement académique qui réunirait les avantages des systèmes allemands et écossais. Non content de concevoir, il mit à exécuter une persévérance assez rare chez lui. Il s’ouvrit de son projet à lord Brougham, il convoqua des meetings ; il alla étudier sur place l’université de Berlin ; et grace à ses efforts, Londres eut une école supérieure ouverte à toutes les communions.

  1. Élu annuellement par les élèves, le recteur, dans les universités d’Écosse, a pour fonctions de vérifier les comptes de l’établissement et d’exercer un contrôle (assez mal défini du reste) sur l’administration et les études.