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moitié de sa vie il fut assez fécond, du moins pour une nature aussi capricieuse et facile à distraire. Désormais, toutefois, la poésie ne devait plus lui faire que des visites « douces et longuement espacées, » comme ces visites d’anges dont il a parlé dans un vers charmant. Bien qu’une bonne partie de ses poésies détachées, et à mon sens les meilleures, aient paru après Gertrude, — Gertrude peut être considérée à la fois comme l’apogée et la fin de sa phase poétique. Pour lui commençait l’ère de la prose. « La période de vingt-cinq à trente ans, a-t-il écrit, est l’âge où la sensibilité et la réflexion se rencontrent simultanément avec le plus d’intensité. » Sa propre correspondance confirme cette opinion. Jusqu’à la fin de sa jeunesse, ses lettres étaient peu intellectuelles. On y trouverait à peine cinq ou six passages qui ressemblent à des jugemens, et on n’y voit pas bien clairement qu’il se fût fait une opinion distincte du caractère de ses divers correspondans. Les lettres qui suivent deviennent plus intéressantes ; elles renferment des observations, elles disent plus de choses en moins de mots. Fort jeune, Campbell était déjà fort érudit en matière d’antiquité classique ; « son esprit avait roulé à travers des mondes de littérature, » comme disait Sydney Smith. Vers vingt-cinq ans, il entreprit de sérieuses études sur les poètes anglais, italiens, français ; il lisait les volumes par centaines. De tous ces travaux sortirent ses Lectures, ses Spécimens des Poètes anglais et ses Lettres sur l’histoire de la littérature. La pensée première des Spécimens datait de 1803, et Walter Scott était d’abord convenu de collaborer pour moitié à ce recueil, qui, outre des extraits choisis dans tous les poètes célèbres, devait renfermer leur biographie et un essai critico-historique sur la poésie anglaise jusqu’à Pope. Walter Scott se retira bientôt, et Campbell mena seul à fin l’œuvre projetée. Tandis qu’il y travaillait, il reprit en outre une idée long-temps caressée, celle de prononcer en public des discours d’histoire littéraire. Le plan de ses lectures était vaste ; il embrassait d’abord des vues théoriques sur la poésie et ses trois élémens, le beau, le sublime, le pittoresque, puis une longue revue de la littérature hébraïque et grecque, des troubadours et des romans chevaleresques, des poèmes italiens, du théâtre français et de tout le Parnasse anglais. Le Royal Institution ouvrit avec empressement ses salles au lecturer (1812) en lui offrant 2,600 fr. pour cinq séances. Comme orateur, Campbell produisit autant de sensation qu’il en avait produit comme poète. L’enthousiasme fut si grand, que le Royal Institution l’invita à recommencer ses lectures, et que de tous côtés, de Liverpool, de Manchester, d’Édimbourg, on lui écrivit pour solliciter l’honneur de l’entendre. À Liverpool, c’était Roscoë qui l’avait appelé en lui assurant que le montant des souscriptions dépasserait 3,400 fr. Campbell, du reste, remaniait sans cesse ou plutôt complétait ses premiers discours en y ajoutant les fruits de