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qu’avec un peu d’argent, fort peu d’argent dans ma poche pour me dispenser de solliciter des travaux, elle me mettra à même de dicter mes propres conditions aux libraires. »

Tant de confiance voulait seulement dire que les déceptions du passé n’avaient pas encore fructifié, et que le poète était loin, fort loin, d’avoir appris à se connaître. Les plus rudes épreuves de sa vie, au lieu d’être finies, ne faisaient, au contraire, que commencer. Lui-même nous a laissé de douloureuses confidences sur les premières années de son séjour à Sydenham, où il s’était établi peu après son mariage :


« Je ne prétends pas dire, écrivait-il, que nous ayons souffert, à proprement parler, les privations de la pauvreté. Ce fut plutôt la crainte que la réalité de l’indigence qui vint peser sur nous ; mais je n’oublierai jamais ce que j’éprouvai le jour où mon frère aîné m’écrivit qu’à l’avenir l’état fâcheux de ses affaires ne lui permettait pas de continuer à soutenir ma mère, et que dorénavant je devais prendre sur moi seul le pieux devoir de la mettre à l’abri du besoin… Je me voyais ainsi deux ménages sur les bras : l’un à Édimbourg, l’autre à Sydenham ; et à cette époque on peut se rappeler que la vie était d’un tiers plus chère que maintenant… Pour faire face à ces nécessités, j’acceptai des engagemens littéraires ; mais je fus bientôt pris d’une maladie qui rendit impossible pour moi toute poésie, et même toute composition d’imagination. La crainte de ne pas m’éveiller assez matin pour me mettre à l’ouvrage me tenait éveillé toute la nuit, et peu à peu je perdis complètement le sommeil… Le loup cependant était à ma porte… Et en sus des dépenses ordinaires du ménage, j’avais à servir les intérêts usuraires d’une somme de 200 livres que j’avais été obligé d’emprunter pour payer notre ameublement et acheter jusqu’au berceau de notre enfant.

« Le sang à la tête et tout étourdi par le battement de mes tempes après des nuits sans repos, j’étais chaque jour obligé de travailler d’arrache-pied au seul genre de corvée qu’il me fût possible d’entreprendre, à des compilations, à de prosaïques abrégés C’est toujours un malheur pour un homme de lettres que de recourir à des travaux anonymes, quelle que soit l’innocence de ses motifs. Il abaisse son caractère en écrivant des choses dont son nom ne se porte pas responsable. Pour moi, j’écrivis sur toute espèces de sujets, y compris même l’agriculture.

«… J’arrivai à Londres comme un parfait aventurier je ne manquais pas d’engagemens littéraires ; mais l’écueil contre lequel je me brisai fut une appréciation exagérée des bénéfices que j’en pouvais tirer. J’ai observé que les auteurs et les artistes étaient sujets à de telles méprises. Un écrivain, je le sais par expérience, commence un travail qui doit lui rapporter tant par feuille : en un jour il achève peut-être un dixième de sa besogne, et, tout ravi, il fait à part lui ce calcul : Fort bien ; à ce taux, je puis compter sur un gain de tant de livres par jour ; — mais d’innombrables interruptions surviennent : ce qu’il a écrit aujourd’hui peut d’ailleurs demander à être écrit sur de nouveaux frais demain, etc.. »


La naissance d’un second fils, le seul qu’il conserva, vint encore