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qu’il avait compté trouver en Allemagne. Avant son départ, il s’était engagé à livrer à son libraire un volume ou deux de récits de voyage et un nouveau poème. Qu’il pût être incapable de tenir sa promesse, l’idée ne lui en était pas même venue ; il n’avait pas encore appris à douter de lui-même ; il en était encore à croire et à répéter qu’avec de la persévérance on vient à bout de tout. Force lui fut, hélas ! de s’apercevoir qu’il n’en était pas ainsi. Quoi qu’il fît, les récits de voyage et le poème ne voulurent pas venir au monde. Je ne crois pas qu’il ait eu plus tard à le regretter. Le poème, en tout cas, était une faiblesse de jeune auteur gâté de trop bonne heure, un de ces projets littéraires qui sont exclusivement inspirés par le désir de faire un beau livre : il devait y être question de l’Ecosse, de ses sites historiques et des souvenirs les plus propres à exalter le patriotisme de ses lecteurs écossais.

À son retour d’Allemagne, Campbell eut une nouvelle épreuve à traverser. Son père mourut, et avec le vieillard s’éteignit une pension viagère qui depuis long-temps était presque l’unique ressource de sa famille. Dès ce moment, le jeune poète prit avec lui-même l’engagement de soutenir sa mère et ses sœurs. Ce devoir, il le remplit noblement. Le dévouement était un des beaux côtés de son caractère : d’abord, il contribua avec un de ses frères à venir en aide à mistress Campbell ; puis, quand il eut amélioré sa propre position, il lui servit à lui seul une pension annuelle de 70 livres (1,750 francs) ; mais j’anticipe ici sur l’avenir : au moment où il perdit son père, Campbell avait encore tout à faire pour se mettre lui-même à flot. Sa plume était son seul capital. Faute de mieux, il fit marché pour écrire en trois volumes une continuation de l’histoire de Smolett, sous le titre de Annals of Great-Britain. L’ouvrage devait lui rapporter 2,500 francs par volume, et il avait été stipulé qu’il resterait anonyme. Campbell tenait infiniment à cette condition, de peur de perdre caste. Avec ce travail sur le métier, il ne tarda pas à venir planter sa tente à Londres dans l’espoir d’y trouver plus facilement à tirer parti de son talent. Quelques pièces de vers envoyées d’Allemagne l’avaient mis en rapport avec M. Perry du Morning Chronicle : c’était un premier débouché ; il comptait bien s’en ouvrir d’autres ; il voyait jour à écrire dans le Philosophical Magazine ; il voyait jour à tant de choses, qu’il ne tarda pas à épouser sa cousine, miss Matilda Sinclair, qui n’avait nul dot à lui apporter. Il avait alors vingt-six ans, et, dans sa joie, il écrivait à une de ses sœurs : « Quant à vos amicales questions sur mes espérances, je ne puis y répondre d’une manière positive ; mais ce que je puis vous dire, c’est que, à moins de traverses et de causes extraordinaires pour troubler ma paix d’ame, je me sens entièrement capable de me maintenir a Londres avec honneur et éclat. Ma position littéraire est telle