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de la Pologne et l’abolition de la traite étaient le sujet de toutes les conversations. » Ce qui occupait tous les esprits étau précisément ce qui avait occupé l’esprit du jeune écrivain. Il était philanthrope, négrophile, passionné pour la Pologne et radical ; il lançait des prophéties contre les tyrans, il s’indignait contre les philosophes qui réduisent l’homme au niveau de la brute en lui contestant une ame immortelle ; il avait, en un mot, toutes les manières de sentir et de pensée que l’on pouvait alors avoir à vingt et un ans, sans qu’il fût besoin de penser et sentir par soi-même. Quant à sa diction, à maints égards aussi elle ne faisait que reproduire les formules en usage. Elle prodiguait les tropes, les exclamations, les écoutez ; elle se montait souvent, à cet enthousiasme officiel du poète classique qui s’est dit qu’il devait chanter sur un certain ton ; par-dessus tout, elle aimait à faire intervenir dans les affaires des hommes l’olympe des abstractions et des êtres de raison. Je me hâterai d’ajouter cependant que le poème du débutant renfermait autre chose que des redites. Jusqu’à un certain point, le docteur Anderson était dans le vrai, quand il s’extasiait « sur les exquises modulations de ce style qui s’élève et s’abaisse avec le sujet, qui tour à tour s’attendrit avec les mélancoliques accens de la douleur, et s’élance sur l’aile d’une éloquence passionnée. » Le style de Campbell savait en effet s’exalter et s’attendrir. Je dirai plus : s’il nous semble guindé, il ne l’est que relativement au présent ; par rapport au passé, il était réellement un effort original vers plus de naturel et de sincérité : çà et là, la périphrase faisait place à une expression nette et imagée ; dans plus d’un vers, la nature était saisie sur le fait ; à travers les enflures circulait surtout une veine bien nette de douces émotions. Pour tout résumer, le jeune écrivain, je le crois, avait presque enrichi la poésie d’une faculté nouvelle en lui apprenant à traduire certains attendrissemens auxquels elle avait rarement donné une voix depuis long-temps.

Qu’est-ce à dire ? Que les Plaisirs de l’Espérance étaient de tout point le miroir du temps. Par ses innovations comme par sa fidélité aux usages, Campbell reproduisait exactement le goût général de cette époque, où le passé était en lutte avec l’avenir, où les traditions et les routines se confondaient avec de vagues aspirations vers quelque autre chose. J’ai comparé sa poésie à la philosophie de l’école écossaise. On peut mieux maintenant sentir leurs rapports. Les écrits de Reid, de Brown, de Dugald Stewart, étaient une première levée de boucliers contre le règne des grands axiomes et la manie des principes absolus, contre cet idéalisme qui statuait en tout du général au particulier. C’était une réaction, mais une réaction tiède, qui, au lieu de s’attaquer à la méthode géométrique du XVIIIe siècle, ne combattait guère que les conséquences auxquelles elle était arrivée. Les novateurs s’inscrivaient