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d’elle. Toute autre lumière ne montre que la superficie du cœur. À tout cela vous n’avez rien à faire que d’être simple, petite et souple, attendant le signal divin pour chaque chose, et ne différer jamais par retour sur vous-même, dès qu’il paraît. Tout se réduit là : vous verrez que c’est la plus étrange mort de tout l’homme ; et c’est dans la perte de la volonté qu’on laisse ainsi s’éteindre tous les restes de la vie propre. » Pour Fénelon comme pour les philosophes socialistes, la science de la vie consiste donc entièrement dans l’abdication de tout effort, de toute réflexion, dans la mort de la liberté, par une sorte d’obéissance passive de l’homme à la fatalité aveugle des puissances de son être. La volonté propre doit périr ; funeste en effet, impie en principe, elle ne pourrait que contrarier l’action de Dieu et faire obstacle à l’œuvre de la nature. Amené sur le bord de nos erreurs par l’enchanteresse qui berce les poètes, Fénelon les côtoya sans y tomber. Les éclairs d’un brillant génie et d’une pure conscience firent, par intervalle, le jour jusqu’au milieu de ses songes ; au moment de la chute, le bras fier de l’autorité le retint. D’autres hommes, ses égaux peut-être en intelligence, ont été moins heureux de nos jours, parce qu’ils furent moins humbles. L’inquiétude de leur ame évoqua l’abîme, et l’orgueil solitaire, père des ténèbres profondes les y précipita sans retour. P. R.


ÉTUDES HISTORIQUES ET CRITIQUES SUR LES ACTIONS POSSESSOIRES, par M. Esquiron de Parieu, docteur en droit[1]. — La publication de ce livre est plus qu’un acte de goût, c’est un bon exemple : il y a, par le temps qui court, une foule de docteurs qui voudraient être ministres ; nous connaissons moins de ministres qui tiennent beaucoup à leur titre de docteur, quand docteur il y a. Une haute pensée a d’ailleurs inspiré ces Études. L’auteur y montre par l’histoire, par l’examen raisonné des législations et des coutumes, à quelle profondeur l’idée qui soutient notre ordre social, l’idée de la propriété, a pénétré dans la conscience de l’humanité. Il révèle, en étudiant leurs effets, ces précautions jalouses, accumulées par la sagesse des siècles, pour consolider non-seulement la propriété même, mais encore la possession, qui n’en est que le signe ; il fait toucher du doigt la nécessité et la légitimité du dogme de l’appropriation individuelle, ce point de mire de nos grands réformateurs d’aujourd’hui. Or, comme les actions possessoires sont peut-être l’expression la plus vive et la plus saillante de ce principe social, comme elles constituent, selon l’ingénieuse comparaison de l’auteur, les ouvrages avancés destinés à défendre les abords de la propriété, il en présente l’histoire, qu’il reconstruit avec toutes les ressources d’une sévère et infatigable érudition. Ce livre, écrit avec une concision qui donne à la pensée tout son relief n’est pas seulement un précieux tribut offert à la science ; c’est un service rendu à la société. Les découvertes qu’il renferme confirment la réputation du jurisconsulte ; l’idée-mère qui l’a produit honore l’homme politique.



V. DE MARS.
  1. Chez Joubert, rue des Grés.