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et inévitable phrase : faites-moi vivre. C’est le vieux cri du peuple romain sous l’empire : panem et circenses !

Du reste, les querelles intestines et les questions de ménage ne sont qu’à leur début entre la montagne de Londres et celle de Paris. Déjà la montagne de Londres, et M. Ledru-Rollin surtout, sont violemment répudiés par la société des proscrits, et voici qu’une autre scission se déclare, dans le sein même de la montagne de Paris, entre ceux qui ont signé le compte-rendu et ceux qui ne l’ont pas signé. Nous suivrons ces curieux débats ; mais aujourd’hui passons à une lutte extérieure où le radicalisme n’a eu que trop de part.

Il s’en faut de beaucoup que la diplomatie exerce, dans les événemens, toute l’influence à laquelle elle devrait prétendre ; la plupart des questions du jour en témoignent, et celle du Schleswig en est peut-être la preuve la plus évidente. Si les grandes puissances avaient, dès l’origine de ce différend, compris et rempli leurs devoirs envers le Danemark, il y a long-temps que cette querelle, déjà si sanglante, serait terminée. Elles ont mieux aimé qu’un foyer de désordre, se perpétuât sur ce terrain, avec l’agrément et au profit de la Prusse, ici, il faut bien le dire, révolutionnaire par intérêt d’agrandissement.

Les démagogues, on le sait, n’ont point négligé la belle occasion qui leur était offerte. Depuis que la Russie a envoyé sa flotte dans les eaux du Danemark et montré la résolution de lui venir en aide, s’il était nécessaire, le prétexte de l’intervention russe a été remis en avant pour ameuter, dans le Holstein, les écervelés de tous les pays ; des Italiens et des Magyars accourent en ce moment avec enthousiasme sous le drapeau du Schleswig-Holstein, doublé du drapeau prussien. La Prusse, dira-t-on, n’est plus personnellement en scène sur le théâtre de la guerre ; elle a conclu la paix, et même elle l’a conclue au nom de toute l’Allemagne, sauf à ne point savoir comment obtenir la ratification de ce traité de paix : soit. Est-ce à dire qu’elle refusé désormais tout appui à l’insurrection ? A-t-elle rappelé formellement et sincèrement les officiers prussiens qui commandent l’armée du Holstein ? Qu’est-ce, par exemple, que le général, d’ailleurs malheureux, que nous voyons à la tête de ces nouveaux corps francs ?

Le général Willisen n’est point un officier d’aventure tel que les chefs improvisés de la plupart des insurrections contemporaines. C’est un des généraux les plus distingués de l’armée prussienne ; tant pis pour cette armée s’il ne lui a pas fait jusqu’à présent plus d’honneur. C’est de plus un favori qui a paru souvent perdre la faveur de son gouvernement, mais qui a toujours été assez bien inspiré pour la reconquérir. Ainsi, en 1831, il fit scandale en haut lieu par la complaisance avec laquelle il décrivit les vicissitudes de la guerre de Pologne, et par les vœux qu’il forma ouvertement pour le triomphe des Polonais. Peu à peu cependant et surtout à l’avènement du roi actuel, en 1840, le panégyriste des généraux polonais rentra en grace. Il était l’un des plus ardens prôneurs de ces fantaisies teutoniques auxquelles se livrait alors l’ambition de Frédéric-Guillaume.

En 1848, nous trouvons le général Willisen dans une position très délicate et très avancée, acceptant très volontiers la situation faite à l’Europe par la résolution de février et poussant les Polonais de Posen à s’armer pour les éventualités d’une guerre européenne contre la Russie. Aussi bien il ne faisait en