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Rassurons-nous, en vérité : la commission de prorogation ne fera rien de sa permanence à Paris, et le président ne fera rien de son voyage dans les départemens.

Notre quiétude veut-elle dire que le mouvement des idées et des sentimens politiques va rester suspendu pendant deux ou trois mois ? Non. Beaucoup de choses se diront, quelques-unes se prépareront ; rien ne se fera. On sèmera, on ne récoltera pas, et encore, parmi les semences, combien tomberont dans les épines, dans les broussailles et ne germeront pas ! Nous tâcherons, quant à nous, de suivre ce mouvement intérieur des esprits ; mais nous ne nous dissimulons pas que nous serons souvent exposés à nous tromper. C’est l’inconvénient des temps d’avortement, que ce qui parait viable ne l’est pas, et que ce qui vous paraît mort-né devient viable tout à coup.

Nous n’hésitons pas, par exemple, à tenir pour mort-nés les deux. Manifestes de la montagne de Paris et de la montagne de Londres, et cependant, quoique mort-nés, ils méritent qu’on y fasse attention. Nous ne croyons pas à l’avenir du parti montagnard et socialiste : il n’a pas une année à vivre, s’il ressuscite ; mais il peut avoir un jour ou un mois, il peut avoir son mardi gras révolutionnaire, comme l’a dit M. Proudhon, parce que c’est le malheur des temps et des pays où rien n’est stable, que tout y soit possible et que sous soyons toujours à la merci d’une surprise. Il est donc bon de savoir ce que sera ce mardi gras révolutionnaire, et les manifestes de la montagne de Londres et de Paris ont l’avantage de nous le dire.

La montagne de Londres veut que ce mardi gras révolutionnaire soit européen. Aussi c’est à l’Europe qu’elle adresse son manifeste. Londres a maintenant dans quelques-uns de ses faubourgs, un comité dictatorial qui joue au gouvernement de l’Europe. M. Ledru-Rollin est. le dictateur de la France, M. Mazzini celui de l’Italie, M. Darasz celui de la Pologne, et M. Ruge enfin celui de l’Allemagne. C’est ainsi que ces messieurs se sont partagé le monde, comme faisaient les triumvirs romains, pauvres gens, après tout, qui partageaient le monde après l’avoir conquis ; les nôtres, plus prévoyans, le partagent auparavant. De plus, ils l’évangélisent. Rien n’est plus pompeux que cet évangile du comité de dictature européenne ; l’exorde surtout est d’une grandeur et d’une hauteur merveilleuse ; la péroraison ou la conclusion est plus pratique et plus humble. « Il s’agit, dit-on, de fonder le budget, la caisse des peuples, il s’agit d’organiser l’armée des initiateurs. » Et nous avons cherché avec grande curiosité si, pour fonder la caisse des peuples et surtout pour la remplir, les initiateurs, comme ils s’appellent, avaient trouvé quelque secret nouveau. Hélas ! non. La seule manière de fonder le budget des peuples, c’est de demander de l’argent au peuple. « Combien est-il de citoyens en France, dit le manifeste, qui, sans se gêner le moins du monde, sans toucher même à leurs plaisirs, pourraient consacrer à la caisse démocratique 5 centimes par jour, 1 franc 50 centimes par mois, 18 francs par an ? Mettons deux cent mille : voilà, de ce chef, quelque chose comme 3 600 000 francs. Une dépense insensible ! N’en prenons que la moitié : on aurait encore 1 800 000 francs. Passons aux ouvriers. Il n’en est pas un seul, assurément, qui ne puisse donner 10 centimes par mois, 1 franc 20 centimes par année. Un million d’ouvriers démocrates donnerait 1 200 000 francs par an. Veut-on un autre