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jour de plus en plus de se perdre. Sous cet art savant, on sent l’homme nourri des plus immortels souvenirs, familier avec les plus grandes traditions et devenu l’un de leurs plus éminens et de leurs derniers représentans. M. Villemain nous rend heureusement quelque chose de la langue du XVIIe et du XVIIIe siècle. Que la langue se corrompe, c’est plus qu’un symptôme littéraire, qu’on le croie bien : quand elle se dégrade, se dénature et devient un odieux mélange de tous les tons ; de toutes les couleurs, de toutes les barbaries, n’est-ce point le signe d’une altération correspondante dans la pensée, dans les sentimens, dans toute la vie intellectuelle et morale d’un pays ? L’auteur du Cours de Littérature le rappelait l’autre jour excellemment et de manière à être entendu de tous ceux qui ont quelque souci de l’art d’écrire : il est des principes supérieurs, des règles sacrées qu’on ne méconnaît point en vain, parce qu’ils viennent non d’Aristote et de Boileau, mais de la nature elle-même. L’art est libre sans doute ; il peut revêtir toutes les formes ; mais il en est de l’art comme de la politique : plus cette liberté est grande, plus il est nécessaire que l’écrivain possède en lui un sentiment rigoureux, impérieux des conditions intimes de l’art, de sa dignité, de son but moral, à peu près comme un peuple libre a d’autant plus besoin d’un frein intérieur qui le modère et le contienne. Et si ces lois supérieures sont violées, que verrez vous ? Vous l’avez eu et vous l’avez encore chaque jour sous les yeux. Vous aurez des hommes qui élèveront la boursouflure, la vanité, la corruption de l’esprit, la folie de l’imagination jusqu’au lyrisme, qui, affamés de parades, se feront dire qu’il faut à chaque révolution son poète, et qu’on est tout prêt pour celle qui ne peut manquer d’éclater un de ces jours ; vous aurez des imaginations épuisées et perverties qui, après avoir blessé toute pudeur morale dans leurs confidences, s’étonneront encore de la mauvaise humeur des critiques qui y auront trouvé à reprendre, en ajoutant qu’après tout la pudeur n’existe pas avec le public, qu’elle n’existe et ne reprend ses droits que dans le tête-à-tête ; ce qui revient à dire que la publicité suffit à couvrir et à absoudre toutes les profanations de l’esprit et du cœur : esthétique merveilleuse du cynisme ! les applications seraient nombreuses de nos jours en vérité, et le jugement de M. Villemain pourrait bien servir de programme à tout un tableau de la littérature contemporaine. C’est ainsi que l’illustre secrétaire perpétuel, dans son rapport, relève l’appréciation d’ouvrages dont plus d’un n’eût pu raisonnablement s’attendre sans doute à la fortune d avoir un tel juge par des traits saisissans, par des aperçus qui pénètrent au plus profond de notre situation littéraire. M. Villemain nous donnait, dans cette séance de l’Académie, un nouvel exemple de cette critique ingénieuse et sûre, simple et revêtue d’éclat en même temps, délicate et exacte, qui, tout en distribuant des couronnes, sait encore réserver les droits de la vérité, et laisse percer dans sa bienveillance un goût sévère et vigilant. Quoi de plus juste notamment que ce qu’il dit au sujet du prix de poésie dramatique et des ouvrages qui ont semblé à l’Académie mériter cette distinction ? Décidément ce n’est ni Molière ni Corneille que l’Institut a prétendu couronner, il n’a point voulu découvrir dans l’agréable comédie de M. Augier ce qui n’y est pas, — la puissance comique, la force d’invention, la fécondité dans la conception des caractères, ni même l’originalité saisissante du style ; M. Villemain