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ascendant, pour avoir sa place parmi les forces et dans le mouvement de la société. Par le bienfait de son principe, il a été donné à l’illustre compagnie de pouvoir sans se démentir, représenter dans notre développement social des choses très différentes, jouer des rôles presque opposés, dirai-je. Voyez ce que fut autrefois l’Académie : dans une société que tenaient enlacée les liens d’une hiérarchie puissante, où les rangs étaient profondément marqués, et où la noblesse se transmettait par le sang ou s’acquérait par les armes, elle offrait comme un terrain indépendant, où l’élection conférait une sorte de noblesse idéale, où, au nom de l’intelligence, toute distinction de rang s’effaçait, où il ne restait enfin que des confrères, même quand des princes du sang y étaient admis. Les grands seigneurs flattaient la littérature. « Là, disait le maréchal de Beauveau, les premiers personnages de l’état briguaient l’honneur d’être les égaux des gens de lettres » ce qui était un peu trop vraiment. Toujours est-il que là s’essayait cet esprit d’égalité qui allait pénétrer bientôt dans le domaine des faits politiques avec la toute-puissance d’une idée invincible. La tradition étant partout vivante et respectée, les hiérarchies étant debout, l’idée d’hérédité encore dans toute sa force l’Académie, par la nature des choses, par le simple fait de son existence, de ses conditions électives, de l’esprit d’égalité sur lequel elle reposait, se trouvait être un élément novateur dans la société. C’était l’élément intellectuel reconnu, organisé et grandissant encore.

Les temps ont changé, voyez ce qu’est aujourd’hui l’Académie dans un nouveau milieu social : tout s’est transformé autour d’elle ; les perspectives sont autres, et son rôle est autre aussi, sans qu’elle ait à déroger à son principe. L’Académie française ne manquerait-elle pas tout-à-fait à son passé et à ce que réclament d’elles les conditions nouvelles de notre existence intellectuelle et morale, si elle ne confirmait son autorité, si elle ne rajeunissait son action par une initiative ferme et haute dans les choses de l’esprit ? Organe élevé des traditions de l’intelligence, plus qu’à tout autre il lui est donné de les défendre contre l’invasion d’une démocratie grossière et stupide qui ne tend à rien moins qu’à corrompre les sources de la pensée, qui a déjà communiqué son venin à bien des talens contemporains ; et comme toutes les traditions se tiennent, il se trouve que défendre l’honneur des lettres, la dignité de l’esprit, la moralité du travail littéraire, ce serait là une œuvre qui aurait bien aussi par,elle-même une importance et une signification sociales. Le directeur de l’Académie rappelait récemment que c’était « la seule institution dans notre patrie dont la génération lente n’ait pas vu le berceau, qui remonte au grand siècle, et semble restée debout parmi tant de ruines pour servir de lien entre tous ces passés détruits et l’avenir inconnu qui nous attend. » Il sied à un grand corps d’avoir de lui-même un tel sentiment, à condition toutefois de le justifier par des actes. Comment l’Académie espère-t-elle atteindre à cet idéal magnifique ? Sans doute on parle français plus souvent qu’ailleurs au palais de l’institut. Il se dépense, assure-t-on, beaucoup d’éloquence parfois dans l’intérieur de l’Académie, il s’y déploie un véritable génie de combinaison intime ; mais ne vous semble-t-il pas que cette saveur de combinaison intime se fait un peu trop sentir, surtout lorsqu’il s’agit, de prix à décerner, de lauréats à couronner ? L’Académie généralement