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une monnaie légale. Grace à cette mesure, que le gouvernement provisoire prit en temps opportun, une crise monétaire ne fut pas ajoutée à la crise commerciale et au bouleversement politique. Les billets de la Banque ayant conservé ou recouvré leur valeur, il n’y eut pas de dépréciation dans la mesure commune des échanges, ni par suite dans les fortunes. Le niveau des billets restant le même que celui de l’argent, la confiance publique put s’attacher à ce point d’arrêt, le seul qui demeurât inébranlable au milieu du tourbillon révolutionnaire de nos désastres et de nos folies.

La suspension des paiemens en espèces s’accomplit au reste, je le reconnais, avec certaines garanties de prudence. Le gouvernement provisoire, d’accord avec le conseil de la Banque, fixa une limite raisonnable à l’émission des billets. Instruit par l’expérience de ses prédécesseurs en révolution, il n’essaya pas de combler, en inondant le pays d’assignats, le vide que la défiance générale avait fait dans ses caisses. Il comprit que l’état ne créait pas des valeurs à volonté, que le niveau de la circulation était donné par le mouvement des affaires, et que multiplier à profusion le papier de banque, c’était, dans une proportion égale, le déprécier et l’avilir. Après avoir agité un moment le chiffre de 500 millions, il porta le maximum de la circulation à 452 millions, se réservant de le modifier selon les circonstances. Au moment ù ce maximum fut déterminé, ’la circulation de la Banque de France et des banques départementales n’excédait pas 360 millions. On laissa donc à l’accroissement qu’elle pouvait prendre une marge d’environ 100 millions. Chacun sait qu’avec le ralentissement des transactions et avec les alarmes qui paralysaient l’industrie, il fallut près de deux ans pour l’atteindre.

Quant à l’effet direct de la mesure, il surpassa les espérances les plus hardies. Après quelques oscillations, qui étaient l’inévitable résultat de l’étonnement et de l’inquiétude, les billets de la Banque de France reprirent le pair et ne tardèrent pas même à obtenir sur l’argent une légère prime ; l’émigration de la monnaie métallique s’arrêta comme par enchantement ; les espèces, sortant de terre pour ainsi dire, refilèrent vers les caisses de la Banque. Les billets, qui n’avaient pas cours hors de la banlieue de Paris et des comptoirs, se répandirent jusque dans les hameaux les plus reculés, et devinrent bientôt aussi familiers au petit commerçant, au petit Propriétaire, au journalier qu’au banquier et au capitaliste. Cette monnaie, imposée d’autorité, fut promptement une monnaie recherchée. Dans un pays où l’or ne sert pas, comme en Angleterre, d’étalon à la valeur, n’entre pas dans les paiemens, et reste à l’état de marchandise, les coupures de 100 fr. avaient une utilité incontestable ; le commerce n’en obtint jamais assez à son gré. Dès les derniers mois de 1849, la Banque, voyant sa circulation