Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/710

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Paris ont retenti, les échos des montagnes californiennes me les auraient bientôt rappelées. Il n’est pas un des héros en guenilles de Murphy qui ne parle des gardes municipaux qu’il a tués à la révolution de février et des gardes nationaux qu’il a descendus aux journées de juin. Plusieurs se vantent, — oui se vantent avec de grands airs superbes, — d’avoir pris part à l’assassinat du général de Bréa. Les nouvelles sont apportées à tous ces fugitifs par des numéros épars de journaux américains ; mais, si les détails et les renseignemens leur manquent sur les événemens dont la patrie commune est le théâtre, l’imagination ne leur fait jamais défaut. Que de suppositions plus moins extravagantes ne font-ils pas ! Pendant huit ou dix jours, il n’a été question à Murphy’s-Camp que de la terrible insurrection des faubourgs de Paris. À en croire les orateurs de la démocratie exilée, le président de la république était pendu ou tout au moins en fuite ; l’armée, sous le commandement du général Changarnier, avait abandonné Paris ; les campagnes s’étaient soulevées, et le socialisme triomphait dans quinze ou vingt départemens. Ces belles nouvelles, débitées de tente en tente, répandirent un moment la joie parmi les mineurs, et l’on fêta la victoire des frères et amis de la métropole par de nombreuses libations.

Eh bien ! cette race d’insurgés qui gardent encore au fond des solitudes sans limites, où le hasard les a conduits, leurs rancunes insatiables et les désirs violens de la vengeance, cette race indisciplinable et farouche vaut encore mieux que la race américaine qui peuple les placers voisins. Rien ne saurait donner une juste idée du caractère et des mœurs de ces hommes qu’on dirait choisis dans la lie des populations américaines ; l’ivrognerie est leur moindre défaut. Les placers qu’ils occupent sont le théâtre d’assassinats sans nombre qui menacent de devenir quotidiens. L’autre jour encore, à Sonora, un joueur qui avait tout perdu s’est enivré, et, montant à cheval, est entré le pistolet au poing dans un café. On a voulu l’expulser ; il a fait feu, et les balles sont allées frapper de pauvres diables qui buvaient dans un coin. Ces scènes d’ivrognerie se renouvellent presque tous les jours ; le dimanche, elles sont continuelles. Ces jours-là, les mineurs abandonnent leurs trous, et rentrent au camp chargés d’une provision d’or ; en quelques heures, le plus souvent, ils perdent ou dépensent le fruit de leur travail d’une semaine. Alors exaspérés, furieux, ivres d’eau-de-vie, les armes à la main, ils parcourent les cafés et les rues, menaçant, injuriant, frappant, et finissent par faire feu au hasard. Si quelqu’un tente de les arrêter, ils le tuent comme on tue un chien et passent. Tous Américains de naissance, ils font cause commune et se soutiennent les uns les autres. Qui résiste à l’un de ces bandits