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huit ou dix jours lui suffisent pour achever son travail, après quoi il est libre de creuser le terrain aurifère, ou d’étaler sa marchandise. Chacun ici fait œuvre de ses mains, car l’ouvrier le plus paresseux coûte au moins une once d’or par jour. L’émigrant cuit sa viande, nettoie sa vaisselle, lave son linge à la rivière, et vit un peu comme Robinson Crusoé dans son île, à cette différence près qu’il travaille un peu plus et se promène moins. La tente bâtie et la place où l’on fouillera la terre choisie et enregistrée par l’alcade du lieu, enregistrement qui équivaut à un acte de propriété, le mineur attend que les eaux pluviales s’écoulent des trous du ravin ; si l’eau tarde trop long-temps à disparaître, ou si le placer ne donne pas un produit assez abondant, il abandonne sa tente, et va demander de l’or à un autre ravin.

Quand j arrivai au camp de Murphy, on ne trouvait plus de sapins pour les constructions qu’à deux ou trois milles dans les montagnes. Avant six semaines, il faudra peut-être aller à deux lieues. Vous comprenez bien que le comfort est banni de ces sortes de camps. Les sybarites couchent sur des planches garnies d’un lit de feuilles de sapins ; le plus grand nombre dort par terre, enveloppé d’une couverture qui sert de matelas la nuit et de manteau le jour. Grace au mouvement commercial qui s’est emparé de la Californie, rien ne manque cependant aux placers des objets nécessaires à la vie ; mais tout y coûte deux ou trois fois plus cher qu’à San-Francisco même : j’ai payé une abominable paire de bottes 90 francs, et l’on m’a félicité sur le bon marché de mon acquisition.

Bien différent du camp de Sonora, occupé par les Sonoriens du Mexique qui l’ont fondé, et des autres placers que j’ai visités, le camp de Murphy est presque exclusivement habité par des Français, tous insurgés de juin, matelots déserteurs, ou repris de justice. La physionomie que présente ce placer a quelque chose d’étrange que la description la plus minutieuse peut difficilement indiquer. Ces hommes exilés de leur patrie ont conservé dans toute leur violence sauvage les passions politiques qui les ont fait courir aux barricades en 1848. Ce ne sont partout que conversations sur les événemens qui ont amené leur émigration, discussions interminables et bruyantes sur les principes ténébreux du socialisme, souhaits et tirades en faveur de la république universelle et démocratique, dont l’avènement prochain ne paraît pas douteux à ces vaincus de la guerre civile. Le dimanche surtout et le lundi sont consacrés à la politique : de petits clubs en plein vent s’improvisent dans l’intérieur du camp, et les harangues sur les crimes de l’aristocratie ne sont interrompues que par la Marseillaise, le Chant des Girondins et le Chant -du Départ. Si j’avais pu quelque peu oublier ces hymnes révolutionnaires dont si long-temps les rues de