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la révélation désarmée aux attaques de la philosophie, c’est laisser l’homme éternellement indécis entre Mahomet et Jésus-Christ, c’est incliner au plus dangereux scepticisme.

Nous ne pouvons que souscrire à une réponse si solide et si sage ; nous croyons même que la récente controverse de la philosophie avec le clergé a pu fournir aux amis de M. Maret quelques lumières utiles et plus d’un argument décisif contre leurs adversaires ; mais à notre tour nous demanderons la permission de prendre la parole, et nous dirons à l’abbé Maret, aux évêques qui l’encouragent, aux théologiens qui l’approuvent et à toute cette partie du monde religieux qui se montre disposée à reconnaître aujourd’hui les droits de la philosophie : Vous déclarez[1] qu’il y a dans l’homme une lumière naturelle, rayon émané du foyer divin, lumière qui illumine tout homme venant en ce monde, et qui a répandu des clartés si vives jusque dans les ténèbres du paganisme. Cette raison est capable de poser avec autorité un principe de certitude, c’est l’évidence ; une règle de mœurs, c’est l’idée du bien ; une religion naturelle, c’est celle qui fait reconnaître à tout esprit droit un Dieu spirituel, un Dieu providence ; créateur du monde et père de l’humanité. Vous reconnaissez à la raison ces nobles droits : les amis de la philosophie doivent en remercier votre franchise et votre loyauté ; mais que doivent penser les esprits calmes et désintéressés, étrangers à nos débats ? que voulez-vous qu’ils disent de cette formule tant préconisée : Le rationalisme aboutit nécessairement au panthéisme ? Expliquons-nous nettement une dernière fois. Entendez-vous par rationalisme l’usage ou l’abus de la raison ? Parlez-vous de la raison fidèle à ses lois naturelles ou de la raison infidèle à ses propres lois ; de la raison restant raisonnable ou de la raison égarée ? Point d’équivoque, toute la question est là. Si vous parlez de la raison égarée, il n’y a aucune difficulté à vous accorder qu’elle peut conduire au panthéisme. Elle y peut conduire, elle y conduit en effet de nos jours beaucoup d’esprits, comme elle en a conduit d’autres à l’athéisme, à l’idéalisme, à tous les égaremens ; mais quoi ! la religion, elle aussi, la religion égarée ; ne peut-elle pas précipiter les plus belles ames au mysticisme, au fanatisme, à la superstition, à mille autres excès ? Que suit-il de là contre la religion et contre la raison ? Absolument rien. Or, il en va tout autrement, si vous transformez une simple erreur possible, suite de la faiblesse humaine, en une erreur nécessaire, produit fatal de l’organisation même de la raison. Il ne s’agit point ici d’une dispute de mots, mais d’une question capitale. Si vous dites que la raison, restant raisonnable, aboutit nécessairement au panthéisme, vous soutenez une thèse fausse

  1. Voyez l’avertissement de la nouvelle édition de la Théodicée chrétienne de M. L’abbé Maret, 1850 ; cher J. Leroux et Jouby, 7, rue des Grands-Augustins.