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singulière, de cette pointe d’esprit vive, hardie, pénétrante, qui caractérisait le maître. Que sera-ce, si nous cherchons à l’auteur du Pape un successeur digne de lui ? À coup sûr, nous ne le trouverons pas en France ; il faudra le demander à l’Espagne, et encore ne nous donnera-t-elle en M. Donoso Cortès qu’un homme de beaucoup d’esprit essayant de reprendre le rôle d’un homme qui avait presque du génie.

Cet incontestable déclin d’une grande école n’est point une raison de la dédaigner. Pour qui observe avec sollicitude les moindre accidens de la marche des idées, il est évident que l’école théologique subit en ce moment une transformation qui peut devenir féconde et porter les plus heureux fruits. Après les emportemens d’une lutte récente, plus d’un adversaire de la philosophie paraît avoir senti quels périls on déchaîne sur une société profondément bouleversée en mettant aux prises les deux forces qui conservent l’ordre moral, et dès-lors quelques symptômes d’une disposition d’esprit plus conciliante, plus favorable aux droits de la raison humaine, ont commencé à paraître. Recueillons avec empressement ces signes favorables ; mais d’abord, et pour les mieux comprendre, jetons un coup d’œil sur les origines et sur les variations de l’école théologique.

Est-ce une école de philosophie comme les autres, ayant sa doctrine à elle, une doctrine originale, indépendante ? Non par sa nature même, elle est enchaînée à un dogme qu’elle n’a pas fait, qu’elle ne peut pas et ne veut pas défaire, ni même modifier, savoir le.dogme catholique, accepté par elle comme surnaturel, immuable, infaillible. Que fait-elle donc ? Deux choses : tantôt elle défend le dogme contre les objections de la pensée libre, de la philosophie proprement dite ; tantôt, prenant l’offensive, elle porte la guerre sur le terrain ennemi, bat en brèche les systèmes qui heurtent le dogme ou qui seulement s’en distinguent, et porte ses coups jusque sur l’esprit humain, commun père de tous les systèmes.

Voilà le rôle naturel de l’école théologique. Or, quel était, au commencement de notre siècle, la philosophie dominante ? C’était celle que Voltaire avait empruntée à Locke en la contenant comme lui de toute la force d’un bon sens supérieur, celle que l’abbé de Condillac avait déjà un peu amoindrie pour la réduire en un système ingénieux et précis, mais qui, tombant de ces grands esprits dans des esprits intempérans comme Diderot ou superficiels comme Helvétius, et de ceux-ci dans des esprits vulgaires comme d’Holbach, avait rapidement abouti aux plus tristes conséquences, le matérialisme et l’athéisme, et à leur suite, le scepticisme absolu ou l’indifférence.

En face d’une telle philosophie, le rôle de l’école, théologique était tracé. Défendre le dogme contre des athées et des sceptiques, c’eût été