Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/688

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dieu, n’aimant que soi, regardant toutes ses passions, toutes ses convoitises comme choses légitimes et sacrées, voilà une religion qui est bien celle du sensualisme et de la démagogie tombée en démence.

Cette nécessité logique a effrayé M. Auguste Comte sans lui ouvrir les yeux. Il s’est arrêté au culte du genre humain, et il a embrassé cette chimère avec tant de bonne foi et d’ardeur, qu’il s’est occupé de l’organiser. Rival des théophilanthropes et de Sylvain Maréchal, il a imaginé un culte qu’il appelle culte systématique, et, pour préluder à la liturgie de ce culte, il a fait un calendrier positiviste[1] où chaque mois est placé sous l’invocation d’un homme de premier ordre, législateur, conquérant ou artiste, Moïse, César, Shakspeare ; chaque dimanche a pour patron un homme de second ordre, Bouddha, saint Augustin et Mozart ; chaque jour enfin prend le nom d’un homme de troisième ordre, Laoo-Tseu, Anacréon, Lucrèce, Galien, Héloïse, Rossini.

C’est ainsi que M. Comte entend remplacer Dieu. Ce panthéon grotesque où le docteur Gall figure comme divinité de second ordre, tandis que Pascal et Voltaire sont relégués dans les divinités du troisième ordre, en compagnie de miss Edgeworth, de Sophie Germain et de Mme de Motteville, ce risible assortiment de dieux et de déesses, voilà pour l’école positive ce qui doit succéder à la foi de Bossuet et de Newton.

Est-il nécessaire maintenant d’insister beaucoup sur les idées de d’école positive en matière d’organisation politique, d’économie sociale et de pédagogie ? Ce que nous en pouvons dire de plus doux, c’est quelles sont au niveau de ses idées religieuses. Y a-t-il au monde une conception plus discréditée dans tous les esprits sensés, plus complètement dépouillée par la discussion et l’expérience de toute ombre de solidité que le gouvernement du prolétariat, c’est-à-dire, en appelant les choses par leur nom, la dictature de l’ignorance, à moins que ce ne soit le droit au travail, qui n’est en pratique autre chose que le droit au salaire sans travail, ou encore l’éducation égale pour tous, la quelle aboutit à l’abrutissement universel ? Qu’il nous suffise de montrer que ces folles doctrines, incompatibles avec toute société régulière, sont la conséquence inévitable du principe sensualiste adopté par la philosophie positive.

Le sensualisme, en effet, nie de deux manières le fondement de toute organisation politique et de toute économie sociale : savoir, le droit. Il nie le droit, en niant toute notion absolue, en ne reconnaissant que des phénomènes et des choses relatives. Le droit par rapport à la force, c’est l’idéal par rapport au réel, l’absolu par rapport au relatif. S’il n’y

  1. Culte systématique de l’Humanité. – Calendrier positiviste, ou Système général de Commémoration publique, par Auguste Comte. 1850 ; chez Mathias, quai Malaquais, 15.